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Notions : La vérité, la justice, la liberté, la nature, la technique, l’art, la religion.

Revoir les définitions à la rubrique « Notions ».

La vérité

Problème de la connaissance : à quoi reconnaît-on l’erreur et la vérité dans nos jugements ?

Exemples de sujets de dissertation : Faut-il toujours croire ce que l’on voit ? (Voir rubrique « La connaissance ». Retenir notamment les arguments tirés de la théorie de la science de Karl Popper.)

La justice et la liberté

Problème de la politique : quel est le rôle de l’Etat ? D’après quel idéal de justice juger son action ?

Exemples de sujets de dissertations :

Peut-il être juste de désobéir aux lois ?

L’Etat est-il l’ennemi de la liberté ?

La guerre peut-elle être juste ? (voir rubrique « La politique »)

La religion

Problème : la foi et la raison sont-elles conciliables ?

Exemples de sujets de dissertation :

L’humanité peut-elle se passer de religion ? (Voir rubrique « La religion »)

La nature et la technique

Problème :

Le pouvoir technique de l’homme donne-t-il des raisons d’espérer ou des raisons d’avoir peur ?

Exemples de sujets de dissertation :

Le développement des techniques est-il un progrès pour l’humanité ?

Faut-il respecter la nature ?

L’Art (Rubrique « L’Art »)

Problème : Qu’est-ce qui fait la valeur de l’œuvre d’Art ?

Exemples de sujets de dissertation :

L’art doit-il plaire ?

L’oeuvre d’art est-elle toujours belle ?

La technique et la nature

Exemples de sujets possibles :

Le développement des techniques est-il toujours un progrès pour l’humanité ?

Faut-il respecter la nature ?

Idées à retenir

1 – La notion de « technique » vient du grec « tekhnê », que l’on traduit par le mot « ars » en latin. L’art ou la technique désigne l’activité fabricatrice de l’homme, une faculté qui distingue l’homme des autres animaux. L’homme est en effet le seul parmi les animaux à pouvoir fabriquer de nouveaux objets qui n’existent pas dans la nature. Le mythe de Protagoras (du nom d’un personnage d’un dialogue de Platon) exprime à travers un récit de l’origine de l’homme l’idée selon laquelle la faculté d’adaptation de l’homme dans la nature repose sur la possession de cette qualité distinctive quasi-divine, le pouvoir de fabriquer par lui-même les armes que la nature ne lui a pas données. Après avoir créé la vie, les dieux envoient sur Terre deux Titans, deux frères, Epiméthée et Prométhée, afin qu’ils distribuent aux animaux les pouvoirs qui leur permettront de survivre. Epiméthée se charge de la distribution mais oublie l’homme, qui reste nu et sans armes. Heureusement, Prométhée se propose de compenser cet oublie : il vole aux dieux la faculté technique, l’art, pour la donner aux hommes, afin que ceux-ci puissent fabriquer les maisons, vêtements, outils et armes qui leur permettront de survivre dans la nature. L’homme qui, sans la technique, serait le plus démuni des animaux devient grâce à la technique, un pouvoir divin, l’être le mieux pourvu, supérieur aux autres animaux.

2 – La réflexion sur la technique a pour objet les conséquences, pour l’homme et pour la nature, de l’extraordinaire développement des techniques, c’est-à-dire du pouvoir d’agir qui est celui de l’homme dans la nature à l’époque de la technoscience.

On appelle technoscience la technique ou technologie en tant que celle-ci est de la science appliquée, qu’elle résulte du progrès scientifique. L’époque de la Technique est celle du progrès scientifique et technique exploité par le système capitaliste, dont le moteur est l’investissement du capital (la richesse accumulée) dans l’innovation technologique qui permet d’augmenter la productivité du travail (la richesse produite par une même quantité de travail), de développer l’industrie et de mettre en permanence sur le marché des nouveaux produits. L’époque de la technoscience (ou de la Technique, avec un grand « T ») se confond avec la civilisation moderne, que l’on peut faire commencer soit au 16e siècle, époque de la révolution scientifique, soit avec le 18e siècle, au cours duquel s’amorce la première révolution industrielle. L’époque moderne est celle des révolutions industrielles qui résultent des innovations technologiques procédant du progrès des sciences (la machine à vapeur, l’électricité, le moteur à explosion, le numérique, les biotechnologies résultant de la connaissance et de la manipulation génétiques, l’intelligence artificielle, etc.).

3 – Sur le plan philosophique, le principe qui est au fondement de la modernité industrielle a été formulé au 16e siècle par un philosophe anglais, Francis Bacon, réfléchissant à la nature de la science moderne : « savoir, c’est pouvoir« , connaître les lois de la nature permet aux hommes d’accroîre leur pouvoir d’agir en utilisant les lois de la nature pour en exploiter les ressources, produire de nouveaux outils et de nouveaux objets; « on ne commande à la nature qu’en lui obéissant« , écrivit-il également, ce qui signifie qu’il faut connaître les lois de la nature pour accroître le pouvoir d’agir permettant à l’homme de s’émanciper de la nature, de la transformer et de la dominer. Dans le même esprit, René Descartes formula l’idée, au 17e siècle, que la science devait permettre à l’homme de se rendre « comme maître et possesseur de la nature« . La science donne à l’homme un pouvoir qui le fait quasiment l’égal de Dieu, puisque connaissant et maîtrisant les lois de la nature, il peut les utiliser pour créer, donc aussi pour transformer la Création, l’ordre naturel. D’où la fascination et la répulsion que peut susciter la technoscience. A l’âge des biotechnologies, l’homme peut fabriquer des OGM (Organismes Génétiquement Modifiées), des chimères (des formes de vie mixant des espèces différentes) et une nouvelle nature humaine (« l’homme augmenté », idéal du transhumanisme).

4 – Le progrès scientifique et technique est au fondement de l’idée de Progrès, l’idée selon laquelle le sens de l’Histoire est celui d’un progrès de la condition humaine, un progrès de la liberté et du bien-être fondé sur le développement et le perfectionnement des techniques qui permettent aux hommes de mieux satisfaire leurs besoins et leurs désirs. Le fait le plus spectaculaire illustrant ce progrès est l’explosion démographique qui accompagne l’entrée dans l’ère de la société industrielle. Il y avait un milliard d’êtres humains sur Terre en 1800, à l’aube de la révolution industrielle; il y en a aujourd’hui près de huit milliards, et il devrait y en avoir dix milliards d’ici la fin du 21e siècle. La cause de ce succès démographique de l’humanité réside dans le progrès de la médecine ainsi que dans le progrès économique et social résultant du développement des sciences et des techniques.

5 – La critique de l’idée de Progrès qui se développe depuis le milieu du 20e siècle et constitue le coeur de l’écologie politique, repose sur une inquiétude nouvelle quant aux conséquences possibles de l’extraordinaire développement de la Technoscience. Plusieurs inquiétudes s’entremêlent et conjuguent leurs effets pour construire une nouvelle vision de l’avenir, provoquant le basculement de l’espérance dans le progrès illimité vers la peur de la catastrophe. Tout a commencé avec la Bombe atomique, première arme dotant l’humanité du pouvoir de se détruire elle-même. Puis l’inquiétude s’est portée sur la Bombe D, la bombe démographique, l’explosion de la population mondiale pouvant être considérée à la fois comme la conséquence du progrès, le signe de la réussite de l’humanité, et comme la cause de la catastrophe à venir. La crainte de la « surpopulation » était à l’origine une crainte de ne pouvoir nourrir tout le monde, ou de trouver une place à tout le monde. Cette crainte était infondée. Mais la crainte de la surpopulation a contribué à introduire la critique écologique du progrès, qui justifie en retour cette crainte. La domination de l’espèce humaine conduit à l’épuisement des ressources naturelles exploitées par l’industrie humaine, à la destruction des écosystèmes qui conduit à la réduction de la biodiversité, enfin et surtout, au réchauffement climatique provoqué par les émissions de CO2 dans l’athmosphère du fait que la production industrielle mondiale repose principalement sur l’exploitation des énergies fossiles (charbon, pétrole). Avec la révolution industrielle, disent les historiens de la Terre, celle-ci est entrée dans l’ère de l’anthropocène (l’âge de l’homme, c’est-à-dire l’âge de la nature, ou biosphère, façonnée par l’industrie humaine). Jusqu’alors, la nature représentait pour l’homme une puissance supérieure, pourvoyeuse de ressources mais contre laquelle il fallait lutter pour survivre. Désormais la nature est certes toujours considérée comme le Tout dont l’homme est une partie, l’écosystème dont nous sommes dépendants, mais cet écosystème apparaît vulnérable, dominé et menacé de destruction par l’homme. L’homme avait naguère le projet de transformer la nature pour améliorer sa condition. Il a aujourd’hui peur de cette transformation, comme si celle-ci consistait à scier la branche sur laquelle on est assis.

6 – La grande idée morale et politique de l’écologie consiste dans la prise de conscience de la responsabilité de l’homme à l’égard de la nature et des conditions de la vie sur Terre. Cette idée a notamment été formulée par le philosophe Hans Jonas dans son livre Le principe responsabilité, principale référence de l’écologie politique. Dans ce livre Hans Jonas défend plusieurs thèses constitutives de l’écologie politique.

7 – La première thèse est que le développement historiquement inédit de « l’agir humain » (le pouvoir de la Technoscience) rend les morales classiques insuffisantes et exige une nouvelle morale pour fonder une nouvelle politique. La morale classique est fondée sur la règle d’or, le principe selon lequel il faut faire pour les autres ce qu’on voudrait qu’on fasse pour nous, et ne pas faire ce qu’on ne voudrait pas qu’on nous fasse. Ce principe peut régler nos relations avec les hommes qui sont nos contemporains, mais il n’implique pas le souci de la nature, ni celui des générations futures.

 » Et si le nouveau type de l’agir humain voulait dire qu’il faut prendre en considération davantage que le seul intérêt « de l’homme » – que notre devoir s’étend plus loin et que la limitation anthropocentrique de toute éthique du passé ne vaut plus ? Du moins n’est-il pas dépourvu de sens de demander si l’état de la nature extra-humaine, de la biosphère dans sa totalité et dans ses parties qui sont maintenant soumises à notre pouvoir, n’est pas devenu par le fait même un bien confié à l’homme et qu’elle a quelque chose comme une prétention morale à notre égard – non seulement pour notre propre bien, mais également pour son propre bien et de son propre droit. Si c’était le cas, cela réclamerait une révision non négligeable des fondements de l’éthique. Cela voudrait dire chercher non seulement le bien humain mais également le bien des choses extra-humaines, c’est-à-dire étendre la reconnaissance des « fins en soi » au-delà de la sphère de l’homme et intégrer cette sollicitude dans le concept de bien humain.  » (Jonas)

8 – La situation contemporaine est caractérisée par le règne de la Technoscience, dont le développement immaîtrisé conduit la nature et l’humanité à la catastrophe. La politique contemporaine ne doit pas être fondée sur l’espérance d’un monde meilleur mais sur la peur de la catastrophe, une peur qu’il faut cultiver afin d’inciter les hommes à agir pour l’éviter. Ce qui se traduit par la formulation du principe de précaution : in dubio pro malis (dans le doute, il faut agir en privilégiant le scénario du pire).

« Nous vivons dans une situation apocalyptique, c’est-à-dire dans l’imminence d’une catastrophe universelle, au cas où nous laisserions les choses actuelles poursuivre leur cours. » (Jonas)

« La peur qui fait essentiellement partie de la responsabilité n’est pas celle qui déconseille d’agir, mais celle qui invite à agir ; cette peur que nous visons est la peur pour l’objet de la responsabilité. » (Jonas)

9 – Le nouvel impératif moral et politique doit être d’assurer la permanence de la vie sur Terre, condition de la survie de l’humanité, de la possibilité des générations futures.

« Un impératif adapté au nouveau type de l’agir humain et qui s’adresse au nouveau type de sujets de l’agir s’énoncerait à peu près ainsi : « Agis de façon telle que les effets de ton action soit compatibles avec la Permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ; ou pour l’exprimer négativement : « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie » ; ou simplement : « Ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre » ; ou encore, formulé de nouveau positivement : « Inclus dans ton choix actuel l’intégrité future de l’homme comme objet secondaire de ton vouloir. » » (Jonas)

10 – Ce nouvel impératif moral (ou éthique) conduit à faire le procès de la science, pour deux raisons. D’une part, la science considère la nature de manière moralement neutre, comme une réalité à connaître. La connaissance scientifique exige de neutraliser les jugements de valeur et de rompre avec les conceptions mythologiques de la nature qui conduisent à la diviniser :

« Aucune éthique du passé (mise à part la religion) ne nous a préparés à ce rôle de chargés d’affaires – et moins encore la conception scientifique dominante de la nature. Cette dernière nous refuse même décidément tout droit théorique de penser encore à la nature comme à quelque chose qui mérite le respect puisqu’elle réduit celle-ci à l’indifférence de la nécessité et du hasard et qu’elle l’a dépouillée de toute la dignité des fins. » (Jonas)

D’autre part, la science moderne s’accompagne du projet de maîtrise technique de la nature, ce que Jonas appelle « le programme baconien », du nom du philosophe qui a écrit que « savoir, c’est pouvoir », ce qui signifie que la connaissance de la nature est la condition de la domination de la nature :

« Le danger a son origine dans les dimensions excessives de la civilisation scientifique-technique-industrielle. Ce que nous pouvons appeler le programme baconien, à savoir orienter le savoir vers la domination de la nature et utiliser la domination sur la nature pour l’amélioration du sort humain, n’a sans doute possédé dès l’origine dans sa mise en œuvre capitaliste ni la rationalité ni la justice avec lesquelles il aurait de soi pu être compatible ; mais sa dynamique de succès conduisant nécessairement à la démesure de la production et de la consommation aurait, compte tenu de la brièveté de la fixation humaine des buts et de l’imprévisibilité réelle des proportions du succès, probablement envahi n’importe quelle société (car aucune ne se compose de sages). » (Jonas)

Justice et liberté (la politique)

Exemples de sujets :

L’Etat est-il l’ennemi de la liberté ?

Peut-il être juste de désobéir aux lois ?

Idées à retenir

1 – L’argument qui justifie l’existence de l’Etat : sans l’Etat, il n’y a pas de société possible; il n’y a ni ordre, ni paix, ni lois (le Droit), ni justice. Ce sont les lois imposées par un pouvoir qui, en posant des interdits, définissent le juste et l’injuste et garantissent le droit de chacun en le protégeant contre la liberté des autres (le libre usage de la force et de la ruse par autrui).

« Là où n’existe aucune puissance commune, il n’y a pas de loi; là où il n’y a pas de loi, rien n’est injuste« . (Thomas Hobbes)

La « puissance commune » = le pouvoir, l’Etat. Sans un Souverain (une volonté qui a le pouvoir de décider pour tous et d’imposer ses décisions), une société ne peut pas se donner de lois. Dans une telle situation (« l’état de nature »), les hommes seraient dans l’obligation de défendre leurs droits (en premier lieu le droit à la vie) par tous le moyens à leur disposition, par la force et par la ruse, sans se soucier des droits d’autrui. Chacun aurait un droit illimité sur toutes choses pour assurer sa survie. En l’absence de loi limitant la liberté en définissant le permis et l’interdit, aucune action ne pourrait être considérée comme injuste. La liberté illimitée dans l’état de nature conduirait nécessairement à la guerre de tous contre tous. Raison pour laquelle le philosophe allemand Kant, pourtant libéral, contemporain et défenseur de la Révolution française, écrit, d’accord avec Hobbes : « L’homme est un animal qui a besoin d’un maître« . C’est un argument contre l’anarchisme, qui voudrait la liberté illimitée de l’homme sans l’Etat (« Ni Dieu ni maître ! »).

2 – L’Etat justifie son existence auprès de ses sujets (les citoyens qui doivent obéir aux lois) par les droits qu’il leur garantit. Pour produire des lois, il faut un idéal de justice qui définit les droits des citoyens. On appelle droits naturels de l’homme les droits indépendants de l’Etat et que l’Etat doit reconnaître pour être juste. Cette idée suppose qu’il soit possible de définir des principes du droit, une idée de justice indépendante de l’Etat. Il y a donc deux idées de justice : 1) la justice selon les lois (le permis et l’interdit définis par l’Etat); 2) la justice selon les principes du droit naturel. Cette idée suppose une théorie du droit naturel. On appelle « droit positif » le droit (les lois) produit par l’Etat et « droit naturel » l’idée qu’on se fait des droits universels de l’homme en tant qu’homme et qu’on tire d’une doctrine religieuse ou philosophique. La notion de « droits de l’homme » signifie que tout homme, en tant qu’homme, a droit à des droits, des droits naturels, c’est-à-dire qui ne peuvent pas être supprimés sans nier l’humanité de l’homme. Ces droits sont indépendants de l’Etat et l’Etat n’a pas le droit de nier, de sorte que l’Etat qui ne respecte pas ces droits est considéré comme injuste.

« La justice sans la force est impuissante; la force sans la justice est tyrannique » (Blaise Pascal)

La formule de Pascal fait la synthèse des deux idées. Sans la force de l’Etat, le droit naturel ne pourrait pas passer dans le droit positif; il resterait un idéal, et l’idéalisme pur est voué à l’impuissance. Mais sans idéal de justice pour servir de guide à l’action de l’Etat, celui-ci ne serait que le règne de la force, le droit du plus fort. On appelle « tyrannie » ou « despotisme » l’exercice purement arbitraire du pouvoir, quand celui-ci n’est pas au service d’une conception de la justice. On appelle en revanche « Etat de droit » un Etat au service du droit qui légitime l’usage de la force.

3 – Le libéralisme politique est la théorie du droit naturel (ou théorie de la justice) qui est au fondement des démocraties modernes. Selon le libéralisme politique, la liberté est l’unique droit naturel de l’homme qui implique l’égalité, qui signifie l’égalité en droits, l’idée selon laquelle tout homme a un droit égal à la liberté, de sorte qu’il ne doit y avoir ni maître ni esclave. Ce principe est énoncé dans l’article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits« . Le philosophe Kant l’exprime encore plus simplement : « Il n’existe qu’un unique droit inné : la liberté« . La référence à la naissance ou à l’inné signifie que le droit à la liberté est considéré comme un droit naturel, indépendant de ce que disent les lois de l’Etat. Cela implique Liberté signifie que l’homme ne doit pas avoir de maître, ce qui implique de considérer comme injustes à la fois l’esclavage et le despotisme (la dictature d’un pouvoir). La liberté comme droit naturel implique l’égalité en droits. La liberté comme droit est un droit pour tous, ce qui n’est pas compatible avec la domination et l’exploitation de l’homme par l’homme.

4) Il y a deux conceptions possibles de la liberté politique (qui coexistent au sein des démocraties libérales) : la conception libérale et la conception démocratique (ou républicaine). La liberté politique (ou liberté civile) est la liberté du citoyen dans l’Etat, par opposition à la liberté naturelle, la liberté illimitée dans l’état de nature (sans l’Etat). La liberté du citoyen est par définition une liberté limitée par la loi. « La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent » (Montesquieu). Mais cette définition vaut pour tous les régimes politiques. Le libéralisme politique exige la plus grande liberté possible. Cet idéal implique la recherche d’une conciliation entre liberté et obéissance à la loi, à l’avantage de la liberté. Deux interprétations d’une telle synthèse sont en concurrence : l’interprétation libérale et l’interprétation démocratique.

La conception libérale – « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (Article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789).

C’est la formule de la conception libérale de la liberté politique. La liberté est un pouvoir d’agir, le pouvoir de faire tout ce qui n’est pas interdit par la loi. Cette définition est toutefois valable partout, dans les dictatures comme dans les démocraties, puisqu’elle ne précise pas les limites du droit d’interdire par la loi. La définition libérale (« la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui« ) précise implicitement ce que la loi doit interdire : les conduites qui nuisent à autrui. Ma liberté a pour limite la liberté de tous les autres, que la loi doit protéger. Comme l’indique le texte suivant, cela implique l’interdiction faite à l’Etat d’interdire les conduites qui ne nuisent pas à autrui. Le libéralisme est une théorie des limites de l’Etat :

La seule raison légitime que puisse avoir une communauté civilisée d’user de la force contre un de ses membres, contre sa propre volonté, est d’empêcher que du mal ne soit fait à autrui. Le contraindre pour son propre bien, physique ou moral, ne fournit pas une justification suffisante. On ne peut pas l’obliger ni à agir ni à s’abstenir d’agir, sous prétexte que cela serait meilleur pour lui ou le rendrait plus heureux; parce que dans l’opinion des autres il serait sage ou même juste d’agir ainsi. Ce sont là de bonnes raisons pour lui faire des remontrances ou le raisonner, ou le persuader, ou le supplier, mais ni pour le contraindre ni pour le punir au cas où il agirait autrement. La contrainte n’est justifiée que si l’on estime que la conduite dont on désire le détourner risque de nuire à quelqu’un d’autre. Le seul aspect de la conduite d’un individu qui soit du ressort de la société est celui qui concerne autrui. Quant à l’aspect qui le concerne simplement lui-même son indépendance est, en droit, absolue. L’individu est souverain sur lui-même, son propre corps et son propre esprit. (John Stuart Mill, De la liberté).

La conception démocratique – « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » (Jean-Jacques Rousseau)

C’est la formule de la conception démocratique ou républicaine de la liberté politique. Se prescrire = se donner. Le principe de la synthèse de l’obéissance à la loi et de la liberté individuelle est le droit politique de participation au choix des gouvernants et à la formation de la loi. En démocratie (ou République au sens de Rousseau et des Révolutionnaires français en 1789), le peuple est souverain, ce qui signifie que les citoyens peuvent, sinon produire eux-même les lois, du moins exprimer leur consentement aux lois faites par leurs représentants, à travers l’exercice des droits politiques (liberté d’expression, droit de vote). Selon Rousseau, la loi est toujours juste quand elle est l’expression de la volonté générale, c’est-à-dire quand elle est la même pour tous et que tous ont participé à sa formation. La Déclaration de 1789 reprend cette théorie de la loi dans son article 6 : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. »

Il y a une contradiction possible entre ces deux conceptions, qui peut être illustrée par le débat sur le pass sanitaire durant l’épidémie de Covid. D’un point de vue libéral, l’Etat peut inciter à la vaccination, mais les individus doivent être laissés libres de leur choix, car c’est leur propre santé qui est en jeu (étant entendu que le vaccin réduisait faiblement la contagiosité). D’un point de vue démocratique ou républicain, l’intérêt général peut justifier le choix exprimé librement par le peuple (par l’intermédiaire de ses représentants) d’imposer à tout une contrainte, en vertu du principe selon lequel « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».

Le libéral Benjamin Constant met en garde contre la principe de la souveraineté du peuple (théorie de la volonté générale). Seul le pouvoir démocratique est légitime, mais il représente un risque pour la liberté individuelle dans la mesure même où il est légitime (justifié au regard du peuple qu’il gouverne). Il faut donc que le droit protège les droits inviolables de l’individu, un domaine d’indépendance qui doit échapper au pouvoir, même si celui-ci est élu au suffrage universel et qu’il a pour lui la majorité.  » Il n’existe au monde que deux pouvoirs, l’un illégitime, c’est la force; l’autre légitime, c’est la volonté générale. Mais en même temps que l’on reconnaît les droits de cette volonté, c’est-à-dire la souveraineté du peuple, il est nécessaire, il est urgent d’en bien concevoir la nature et d’en bien déterminer l’étendue. Sans une définition exacte et précise, le triomphe de la théorie pourrait devenir une calamité dans l’application. La reconnaissance abstraite de la souveraineté du peuple n’augmente en rien la somme de liberté des individus; et si l’on attribue à cette souveraineté une latitude qu’elle ne doit pas avoir, la liberté peut être perdue malgré ce principe, ou même par ce principe [.. ] Il y a au contraire une partie de l’existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante, et qui est de droit hors de toute compétence sociale. La souveraineté n’existe que d’une manière limitée et relative. Au point où commence l’indépendance et l’existence individuelle, s’arrête la juridiction de cette souveraineté. »

5) Le libéralisme politique donne à l’Etat pour but de garantir la liberté individuelle, et non pas le bonheur du peuple.

Selon le libéralisme, l’Etat libéral est l’Etat qui traite les individus en adultes responsables, tandis que le despotisme prend toujours la forme du paternalisme. Le paternalisme est l’attitude qui consiste à décider de ce qui est bon pour autrui à sa place, comme font les parents pour leurs enfants. Pour les libéraux, abandonner à l’Etat le droit de définir et de réaliser le bonheur du peuple revient à placer les citoyens dans la posture d’enfants dépendant et irresponsables, ce qui peut conduire au despotisme de l’Etat autoritaire. Le libéralisme distingue donc justice (droit à la liberté) et bonheur (ordre, paix, prospérité, santé, justice sociale).

« Que l’autorité se borne à être juste, nous nous chargerons d’être heureux » (Benjamin Constant).

L’autorité = l’Etat, le pouvoir politique. L’Etat doit faire régner la justice telle que le libéralisme la conçoit, c’est-à-dire garantir l’égale liberté pour tous. La liberté est, pour l’individu, liberté de définir et de chercher son bonheur par lui-même. Sur le plan économique, il s’agit de la liberté de travailler et d’entreprendre; sur le plan spirituel, de la liberté religieuse et de la liberté de croire ou de ne pas croire. C’est donc en protégeant la liberté individuelle que l’Etat favorisera le bonheur du peuple. Si en revanche il se donne pour but premier le bonheur du peuple, il définira lui-même le bonheur à la place des individus et sera tenté de restreindre les libertés au nom de l’efficacité des mesures jugées nécessaires au plus grand bonheur.

6) Le libéralisme politique justifie le principe de la séparation du politique et du religieux (principe de tolérance ou de laïcité)

Le principe politique de la séparation entre l’Etat et la religion (les communautés religieuses ou « églises ») est fondé sur l’idée que la vérité n’est pas l’affaire de l’Etat. Sur le plan théorique, ce principe a été clairement formulé au 17e siècle par John Locke, le père fondateur du libéralisme politique. L’Etat a pour moyen d’agir la contrainte (l’usage de la force). Ce moyen n’est pas adapté pour agir sur les esprits, lesquels ne peuvent être convertis à la vérité que par la force des arguments et des convictions. On peut forcer quelqu’un à croire ou à cesser de croire. On ne peut que tenter de le convaincre. Le rôle de l’Etat est de contraindre les corps pour le bien des corps : il doit utiliser la force pour limiter la force afin de protéger la liberté individuelle (le pouvoir d’agir sans contrainte), la sécurité, la propriété, la santé, qui sont des biens du corps. Il n’a pas à se soucier des âmes (ou consciences, esprits).

Ce principe exige la distinction de deux conceptions du bonheur. Le bonheur comme bien-être matériel est l’affaire de la politique. Pour les libéraux, l’Etat doit exclusivement garantir la liberté, afin que l’individu travaille librement à la réalisation de son bien-être; pour les socialistes, l’Etat doit intervenir dans l’économie et la société afin de lutter contre la misère, d’apporter une aide sociale à ceux qui en ont besoin, de compenser les inégalités économiques, c’est-à-dire l’inégal accès au bien-être matériel. D’après le principe de séparation, le bonheur comme sens de la vie, sagesse, salut de l’âme (accès à la vie éternelle par exemple), n’est en revanche pas l’affaire de l’Etat et de la politique. La séparation (laïcité) implique la liberté de conscience, c’est-à-dire la libre recherche de la vérité, la liberté philosophique et religieuse.

7) Il y a deux conceptions de l’égalité : l’égalité stricte et l’équité.

Depuis Aristote, il est entendu que la justice, c’est l’égalité. Le grand problème philosophique de la justice commence là : répondre à la question « Qu’est-ce que la justice ? » revient à répondre à la question « Qu’est-ce que l’égalité ? » L’égalité qui définit la justice n’est pas l’identité ni l’égalité de fait. Nous sommes tous différents et ces différences font que l’on peut observer des inégalités de grandeur en fonction d’une référence commune : inégalité de taille, de poids, d’âge, de force physique, de beauté, d’intelligence, etc. Le problème politique de la justice concerne plus spécifiquement l’égalité en matière de droits et d’accès aux ressources sociales garantis par l’Etat. La justice, c’est l’égale considération de tous en matière de répartition des droits et d’accès aux ressources sociales disponibles.

Difficulté supplémentaire : il existe deux idées d’égalité. Ce qui fait que l’on oppose parfois deux idées de justice : l’égalité et l’équité. L’égalité stricte est l’égalité de traitement, illustrée par l’égalité devant la loi et par le partage égalitaire, au moyen duquel on distribue à chacun la même part. L’équité est un traitement différencié justifié par la différence des situations. Il s’agit en quelque sorte d’une « discrimination positive ». Le meilleur exemple est l’impôt progressif. Demander aux pauvres et aux riches de verser le même montant ou la même proportion de leur revenu est considéré comme injuste eu égard aux différences de situation. On considère qu’une telle conception de l’impôt serait égalitaire mais non équitable. L’équité exige que ceux qui ont plus donnent plus, et versent à l’Etat un part toujours plus grosse de leur revenu à l’Etat à mesure que la fortune est plus importante. Le principe de l’impôt progressif consiste donc à exiger de chacun un effort différent, qui varie en fonction de la tranche de revenu à laquelle on appartient.

Autre exemple, qui concerne la justice corrective : l’équité dans l’application des lois par les juges. Il s’agit de prendre en considération les différences de situation, la particularité de chaque situation, afin de faire respecter l’esprit de la loi plutôt que la lettre de la loi, en relativisant le principe de l’égalité devant la loi : « ce qui est condamnable, c’est de suivre la loi à la lettre quand il ne faut pas » (Thomas d’Aquin). Le cas emblématique est celui de la mère de famille qui vole pour nourrir ses enfants ou (cas d’euthanasie, plus actuels et qui ont été médiatisés ces dernières années) qui provoque la mort de son enfant lourdement handicapé ou gravement malade pour mettre un terme à ses souffrance. Ces cas particuliers et bien d’autres conduisent à pose la question : faut-il toujours appliquer la loi dans toute sa rigueur ? L’équité exige le traitement différencié des cas différents, tandis que l’égalité stricte exigerait qu’on applique la loi sans tenir compte des différences de situation en suivant l’adage « durae lex, sed lex » (« la loi est dure, mais c’est la loi »).

8) Il existe un conflit possible entre la loi de l’Etat et la loi de la conscience.

L’obéissance à la loi est le devoir du citoyen, la condition de la vie en société, de la coexistence pacifique des liberté. Mais le propre de l’homme n’est-il pas d’avoir une conscience morale qui le rend moralement responsable de ce qu’il fait et de ce qu’il laisse faire autour de lui. Lorsque la loi paraît injuste à la conscience, un conflit de devoir se présente : faut-il obéir à la loi de l’Etat ou bien à la loi morale telle que la conscience l’a comprend ? Peut-on justifier la révolte de l’individu contre l’Etat, la désobéissance civile (désobéir aux lois pour protester contre une injustice), voire la résistance armée ? La morale dictée par la conscience suffit-elle pour justifier la révolte contre l’Etat ?

Ce questionnement fut notamment celui d’Henry David Thoreau, le premier théoricien de la désobéissance civile, qui dénonçait au 19e siècle l’esclavage encore en vigueur dans certains Etats américains pourtant démocratiques. Il plaidait pour le droit de la conscience individuelle de s’opposer au droit de la majorité d’imposer une loi injuste : « Il existe des lois injustes : consentirons-nous à leur obéir ? Tenterons-nous de les amender en leur obéissant jusqu’à ce que nous soyons arrivés à nos fins – ou les transgresserons-nous tout de suite ? » « Ne peut-il exister de gouvernement où ce ne serait pas les majorités qui trancheraient du bien et du mal mais la conscience ? » « Le citoyen doit-il jamais un instant sa conscience au législateur ? ».

Contre le droit de la conscience, on peut faire valoir la théorie qui justifie l’Etat, donc le devoir d’obéissance à la loi [idée 1], ainsi que les théories de la justice politique qui définissent les principes que l’Etat doit respecter pour être juste et dont la concrétisation au moyen d’une constitution justifie de réprimer par la force toute résistance ou révolution. La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 reconnaît dans son article 2 un « droit de résistance à l’oppression ». Ce droit n’existe plus a priori en démocratie, quand les droits de l’homme sont respectés. Le débat toutefois reste ouvert, dans la mesure où il arrive qu’un Etat démocratique ne respecte pas ses propres principes.