La vérité

La vérité comme idéal moral est l’accord de la parole avec la pensée ou l’intention consciente. La vérité en ce sens désigne une idéal de véracité fondé sur le refus du mensonge, de la dissimulation, de la mauvaise foi, de la fausse promesse. La véracité peut être valorisée ou bien comme condition nécessaire de la confiance dans les rapports humains, ou bien comme condition nécessaire de la recherche de la vérité dans le domaine de l’information et de la connaissance.

La vérité comme idéal de la connaissance désigne d’une part l’accord de la pensée avec elle-même (la cohérence, c’est-à-dire la non-contradiction) et d’autre part l’accord de la pensée avec son objet (l’objectivité du jugement). La vérité en ce sens désigne l’idéal qui accompagne chacune de nos croyances, puisque croire, c’est tenir quelque chose pour vrai, non comme une erreur ou une illusion. La non-contradiction est un critère logique, condition nécessaire mais non suffisante de la connaissance. La proposition « Le cercle est carré » est a priori fausse car logiquement contradictoire. Le syllogisme « Dieu est l’être parfait, or l’existence est une perfection, donc Dieu existe. » est un raisonnement logique et cohérent mais qui ne prouve pas qu’une réalité corresponde à ce qu’on entend par « Dieu ». Le concept de vérité que nous utilisons quotidiennement dans notre rapport à la réalité et qui est aussi le concept de la vérité scientifique est celui de la vérité-correspondance : Adaequatio rei et intellectus (l’adéquation de la chose et de la pensée), l’accord entre mon jugement à propos d’une réalité (la réalité pour moi, telle qu’elle m’apparaît) et cette réalité elle-même (la réalité en soi, telle qu’elle est). Il importe de bien distinguer vérité et réalité. La réalité n’est ni vraie ni fausse, elle est. La vérité et l’erreur n’ont lieu que les actes de la pensée (jugements, croyances, hypothèses, théories) ou/et dans les actes de langage (énoncés, propositions, discours). Dire « La terre est plate » est un énoncé de discours faux, une proposition fausse, qui exprime un jugement faux, une théorie fausse, qui ne correspond pas à la réalité telle qu’elle est.

D’un énoncé ou d’un jugement « vrai » on peut également dire qu’il est « exact » ou « objectif », notions qui signifient « qui correspond au réel » (sauf en mathématique, ou ces notions renvoient à l’exactitude d’un cacul ou d’une démonstration). La vérité, en tant qu’elle est le nom de l’idéal de la connaissance, a pour propriété fondamentale d’être universelle, c’est-à-dire d’être la même pour tous. Une pensée vraie, est une pensée universellement valable, en ce sens qu’elle est 1) en accord avec les règles de la logique (de la pensée en général), qui sont les mêmes pour tous, et 2) qu’elle correspond à la réalité telle qu’elle est, qui est la même pour tous. Dire que la proposition « 3 + 5 = 8  » est vraie, cela signifie que sa validité est universelle. De même pour la proposition « La Terre est de forme sphérique ». Faut-il réciproquement appeler « vérité » ce qui est universellement valable ? Des valeurs peuvent-elles être considérées comme des vérités ? Il faut distinguer vérités et valeurs, le domaine de la connaissance de ce qui est (la réalité) du domaine de la conception de ce qui doit être (l’idéal). Les propositions « Il ne faut pas tuer ! », « Il faut chercher la vérité » appartiennent au domaine des valeurs, non à celui de la connaissance. Si toutefois on estime que le devoir de ne pas tuer et le devoir de chercher la vérité ont une validité universelle, il est possible de considérer que ces valeurs sont des vérités morales, qu’elles participent d’une objectivité morale.

Les deux concepts de vérité se distinguent l’un de l’autre comme le mensonge se distingue de l’erreur : le mensonge consiste à tromper autrui tandis que l’erreur consiste à se tromper. Le mensonge est volontaire tandis que l’erreur est involontaire, qui consiste à « prendre l’apparence de la vérité pour la vérité elle-même » (Kant). Le mensonge peut être considéré comme une faute morale, non l’erreur, sauf s’il s’agit d’une persévérance dans l’erreur après que la vérité ait été découverte ou démontrée, parce qu’on peut alors estimer que la volonté entre en jeu, soit en raison de l’absence de la bonne volonté nécessaire pour se corriger, soit en raison de la mauvaise foi, l’erreur étant alors librement choisie pour elle-même. C’est le sens de l’adage fameux : errare humanum est, perseverare diabolicum (l’erreur est humaine, persévérer est diabolique). La véracité est nécessaire à la connaissance dans la mesure où la vérité n’est pas donnée : un effort de recherche est nécessaire pour la trouver, qui se heurte à l’obstacle des erreurs (fausses croyances) et des illusions (fausse croyances auxquelles on désire croire). Le progrès dans la connaissance requiert la volonté de vérité (le désir ou l’amour du vrai) et, peut-être, de placer l’idéal de la vérité au-dessus des autres valeurs (au-dessus même de l’amour et du Bien).