Galilée et la chute des corps :
Aristote, Métaphysique :
Tous les hommes désirent naturellement connaître; ce qui le montre, c’est le plaisir causé par les sensations: en dehors même de leur utilité, elle nous plaisent par elles-mêmes, et plus que toutes les autres les sensasions visuelles. En effet, non seulement pour agir, mais même lorsque nous ne nous proposons aucune action, nous préférons pour ainsi dire la vue à tout le reste. La cause en est que la vue est, de tous nos sens, celui qui nous fait acquérir le plus de connaissances et nous révèle le plus grand nombre de différences.
John Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain (1689) :
Supposons donc qu’au commencement l’âme est ce qu’on appelle une table rase, vide de tous caractères, sans aucune idée, quelle qu’elle soit. Comment vient-elle à recevoir des idées ? Par quel moyen en acquiert-elle cette prodigieuse quantité que l’imagination de l’homme lui présente avec une variété presque infinie ? D’où puise-t-elle tous ces matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela je réponds en un mot : de l’expérience ; c’est là le fondement de toutes nos connaissances, et c’est de là qu’elles tirent leur première origine. Les observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles, ou sur les opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons et sur lesquelles nous réfléchissons nous-mêmes, fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées.
G.W. Leibniz, Nouveaux Essais sur l’entendement humain (1704) :
Cette table rase dont on parle tant, n’est à mon avis qu’une fiction que la nature ne souffre point et qui n’est fondée que dans les notions incomplètes des philosophes. […] L’expérience est nécessaire, je l’avoue, afin que l’âme soit déterminée à telles ou telles pensées, et afin qu’elle prenne garde aux idées qui sont en nous. Mais le moyen que l’expérience et les sens puissent donner des idées ? […] On m’opposera cet axiome reçu parmi les philosophes, que rien n’est dans l’âme qui ne vienne des sens. Mais il faut excepter l’âme même et ses affections. Il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été d’abord dans les sens – sauf l’entendement lui-même.
Emmanuel Kant, Critique de la raion pure (1787) :
1 – Que notre connaissance commence avec l’expérience, cela ne fait aucun doute. Car par quoi notre pouvoir de connaître pourrait-il être éveillé et mis en action, si ce n’est par des objets qui frappent nos sens ? […] Chronologiquement, donc, aucune connaissance ne précède en nous l’expérience, et c’est avec celle-ci que toutes commencent. Mais si toute notre connaissance débute avec l’expérience, cela ne prouve pas qu’elle dérive toute de l’expérience. Car il se pourrait que notre connaissance par expérience soit un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de ce que notre propre pouvoir de connaître (simplement excité par des impressions sensibles) produit de lui-même.
2 – Notre nature est ainsi faite que l’intuition ne peut jamais être que sensible, c’est-à-dire ne contient que la manière dont nous sommes affectés par des objets, tandis que le pouvoir de penser l’objet de l’intuition sensible est l’entendement. Aucune de ces deux propriétés n’est préférable à l’autre. Sans la sensibilité, nul objet ne nous serait donné; et sans l’entendement, nul ne serait pensé. Des pensées sans contenu sont vides; des intuitions sans concepts sont aveugles. Il est donc aussi nécessaire de rendre sensibles ses concepts (c’est-à-dire d’y ajouter l’objet dans l’intuition) que de rendre intelligibles ses intuitions (c’est-à-dire de les soumettre à des concepts). Ces deux pouvoirs ou capacités ne peuvent pas échanger leurs fonctions. L’entendement ne peut rien intuitionner, ni les sens rien penser. De leur union seule peut sortir la connaissance.
3 – Quand Galilée fit rouler ses sphères sur un plan incliné, avec un degré d’accélération dû à la pesanteur mais déterminé selon sa volonté, quand Torricelli fit supporter à l’air un poids qu’il savait lui-même d’avance être égal à celui d’une colonne d’eau connue de lui, ou quand, plus tard, Stahl transforma des métaux en chaux et la chaux en métal, en leur ôtant ou leur restituant quelque chose, ce fut une révélation minutieuse pour tous les physiciens. Ils comprirent que la raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans, qu’elle doit prendre les devants avec avec les principes qui déterminent ses jugements suivant des lois immuables, enfin qu’elle doit obliger la nature à répondre à ses questions, et ne pas se laisser conduire en laisse, pour ainsi dire, par elle. Car autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d’avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin. Il faut donc que la raison se présente à la nature, tenant d’une main ses propres principes, qui seuls peuvent donner à des phénomènes concordants l’autorité de lois, et de l’autre l’expérimentation qu’elle a imaginée d’après ces principes, pour être instruite par elle, il est vrai, mais non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce qui plaît au maître, mais, au contraire, comme un juge dans l’exercice de ses fonctions, qui force les témoins à répondre aux questions qu’il leur pose. »
Karl Popper, Conjectures et réfutations (1963) :
La science ne souscrit à une loi ou à une théorie qu’à l’essai, ce qui signifie que toutes les lois et les théories sont des conjectures ou des hypothèses provisoires (j’ai parfois qualifié cette position d' »hypothétisme ») et que nous pouvons rejeter une loi ou une théorie sur la base de données nouvelles sans écarter nécessairement les anciennes données qui nous l’avait fait adopter. On peut conserver dans son intégrité le principe de l’empirisme, puisque ce sont l’observation et l’expérimentation, l’issue des tests, qui décident du sort d’une théorie, de son acceptation ou de son rejet. Dans la mesure où une théorie résiste aux tests les plus rigoureux que nous sachions élaborer, elle est acceptée; dans le cas contraire, elle est rejetée.
Karl Popper, Logique de la découverte scientifique (1934) :
Dans ma conception, il n’y a rien qui ressemble à de l’induction. Aussi, pour nous, est-il logiquement inadmissible d’inférer des théories à partir d’énoncés singuliers « vérifiés par l’expérience » (quoique cela puisse vouloir dire). Les théories ne sont donc jamais vérifiables empiriquement. […] Toutefois, j’admettrai certainement qu’un système n’est empirique ou scientifique que s’il est susceptible d’être soumis à des tests expérimentaux. Ces considérations suggèrent que c’est la falsifiabilité et non la vérifiabilité d’un système qu’il faut prendre comme critère de démarcation. En d’autres termes, je n’exigerai pas d’un système scientifique qu’il puisse être choisi, une fois pour toutes, dans une acception positive, mais j’exigerai que sa forme logique soit telle qu’il puisse être distingué, au moyen de tests empiriques, dans une acception négative : un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l’expérience.