L’Art

La notion peut revêtir un sens général, l’art est synonyme de technique, et un sens plus restreint, l’activité artistique, distincte de celle de l’artisan. La réflexion philosophique sur l’Art (la majuscule soulignant la spécificité de l’usage) porte sur l’activité et l’œuvre de l’artiste. Il importe cependant d’avoir en tête les deux définitions de l’art.

L’art désigne la technique ou la méthode acquise (non naturelle) qui confère de l’habilité dans une activité. Ars, en latin, est l’équivalent de tekhnè, en grec. L’art et la technique peuvent au premier abord être considérés comme des synonymes. L’artisan est un homme de l’art, dans la mesure où il maîtrise une technique, des procédés de fabrication qui lui ont été transmis au cours d’un apprentissage.

Remarques :

1) Il faut souligner le fait que l’art s’oppose à la nature parce qu’il s’inscrit dans la dimension de la culture : tout art (la cuisine par exemple) désigne une activité qui résulte d’une innovation humaine, une habileté qui n’est pas un don naturel et qui relève donc de l’acquis, et non de l’inné. Son acquisition nécessite un apprentissage.

2) L’art est un moyen au service d’une fin, une activité qui a une finalité. Tout art a une finalité. L’art est une technique ou une méthode dont la valeur dépend de son aptitude à réaliser la fin dont elle est le moyen. L’habileté technique consiste à utiliser les moyens les plus efficaces pour atteindre un but. La perfection technique de l’homme de l’art désigne la capacité de réaliser l’objectif avec le moins d’effort et de ressources possibles.

L’Art désigne plus spécifiquement l’activité de l’artiste, ce qu’on appelle aussi « les beaux-arts », les arts dont la valeur dépend d’un idéal esthétique, a priori l’idéal de la beauté. Puisque le programme de philosophie distingue les notion d’art et de technique, les sujets sur l’art sont relatifs à l’activité artistique et à l’idéal esthétique.

Remarques :

1) En ce sens, l’Art est un savoir-faire qui porte la marque de la personnalité. Le savoir-faire de l’artisan témoigne de la compétence technique acquise par celui-ci, le savoir-faire de l’artiste témoigne de son talent, voire de son génie. Or le talent personnel apparaît comme un « don », naturel par définition, non comme le produit d’un apprentissage. D’un joueur de foot qui a une « bonne technique » (une bonne aptitude à manier le ballon), on dira à juste raison que c’est un « technicien ». Lorsqu’on veut valoriser la dimension de créativité ou d’improvisation du geste, ou le caractère unique, hors norme, du jeu d’une individualité, on dira que l’action ou le joueur touche au génie : de technicien le bon footballeur devient artiste par la grâce du talent unique qui lui est reconnu, un talent dont on dira qu’il s’agit d’un don, parce qu’on estime qu’il ne s’apprend pas dans les écoles de foot. La réflexion sur l’art est donc une réflexion sur la part, dans l’activité artistique, du « métier » (le savoir-faire acquis par le travail) et celle du génie (la créativité et la singularité d’un savoir-faire qui semble l’expression de la personnalité de l’artiste, hors d’atteinte par le seul apprentissage). Le paradoxe de l’activité artistique tient au fait qu’elle résulte de l’apprentissage d’une technique mais qu’elle se définit par la créativité, laquelle consiste, par définition, à transcender l’acquis. C’est parce qu’il fait plus ou autre chose que répéter ce qu’il a appris que l’artiste est reconnu comme tel.

2) L’Art est une activité désintéressée, qui a son but en elle-même. L’artisan-boulanger fabrique son pain pour le vendre et gagner sa vie. L’art ne désigne ici que la méthode de fabrication du pain que les clients attendent et qui doit être toujours identique à lui-même. La vertu d’une bonne technique est de reproduire à l’identique des gestes et des objets. Cette dimension se retrouve bien entendu dans les « beaux-arts », à ceci près que ce que nous valorisons dans l’activité artistique n’est pas la faculté de produire à la perfection les copies d’un modèle mais la production d’une œuvre originale. Le peintre qui se borne à faire des portraits ressemblants ou qui produit des copies de tableaux de maîtres n’est pas considéré comme un artiste mais comme un artisan. En tant que l’activité artistique a une fonction d’expression et/ou de création, elle n’est pas un simple procédé de fabrication ou la manière d’atteindre un but. Le résultat (l’œuvre) est original parce que la manière de le produire est elle-même singulière, unique, à l’image du talent créateur qui s’exprime à travers elle. L’artiste porte en lui sa création, le but de son activité.

La justice

« Le juste est ce qui est conforme à la loi et ce qui respecte l’égalité; l’injuste, ce qui est contraire à la loi et ce qui manque à l’égalité. » (Aristote)

De cette formule d’Aristote, il faut en premier lieu retenir le fait que la notion de justice est liée à celle du droit (jus en latin), donc à la vie en société. La justice consiste à donner ou à rendre à chacun ce qui lui revient afin que la vie commune soit possible. Il faut distinguer entre d’une part la justice distributive qui concerne la distribution (le partage) des biens et des droits, et d’autre part la justice corrective, qui intervient pour corriger, c’est-à-dire pour réparer l’injustice et rétablir la justice.

En second lieu, la formule d’Aristote invite à distinguer entre deux notions, la légalité et l’égalité, toutes deux impliquées dans la définition de l’idée du justice. Au regard du droit positif (le droit tel qu’il existe en fait dans une société), c’est-à-dire de la Justice comme institution judiciaire (le pouvoir des juges institué par l’Etat), est juste ce qui est conforme à la loi (le permis), est injuste ce qui transgresse la loi (l’interdit). Cette conception de l’idée de justice n’est toutefois pas suffisante, d’où la question : la loi est-elle toujours juste ? Les lois sont justes parce qu’il est juste qu’il y ait des lois et une égalité devant la loi pour protéger les droits et les biens de chacun. Pour justifier les lois, autrement dit, il faut un idéal de justice qui soit en quelque sorte l’idéal moral de l’Etat. La formule d’Aristote suggère que cet idéal des lois (du droit, de l’Etat) est nécessairement un idéal d’égalité : la justice, c’est l’égalité.

Le grand problème philosophique de la justice commence là : répondre à la question « Qu’est-ce que la justice ? » revient à répondre à la question « Qu’est-ce que l’égalité ? » La répartition des droits et des biens doit obéir au principe d’égalité. Mais que signifie l’égalité, ou plus exactement l’idéal d’égalité ? L’égalité qui définit la justice n’est pas l’identité ni l’égalité de fait. Nous sommes tous différents et ces différences font que l’on peut observer des inégalités de grandeur en fonction d’une référence commune : inégalité de taille, de poids, d’âge, de force physique, de beauté, d’intelligence, etc. Le problème politique de la justice concerne plus spécifiquement l’égalité en matière de droits et d’accès aux ressources sociales garantis par l’Etat. La justice, c’est l’égale considération de tous en matière de répartition des droits et d’accès aux ressources sociales disponibles.

Difficulté supplémentaire : il existe deux idées d’égalité. Ce qui fait que l’on oppose parfois deux idées de justice : l’égalité et l’équité. L’égalité stricte est l’égalité de traitement, illustrée par l’égalité devant la loi et par le partage égalitaire, au moyen duquel on distribue à chacun la même part. L’équité est un traitement différencié justifié par la différence des situations. Il s’agit en quelque sorte d’une « discrimination positive ». Le meilleur exemple est l’impôt progressif. Demander aux pauvres et aux riches de verser le même montant ou la même proportion de leur revenu est considéré comme injuste eu égard aux différences de situation. On considère qu’une telle conception de l’impôt serait égalitaire mais non équitable. L’équité exige que ceux qui ont plus donnent plus, et versent à l’Etat un part toujours plus grosse de leur revenu à l’Etat à mesure que la fortune est plus importante. Le principe de l’impôt progressif consiste donc à exiger de chacun un effort différent, qui varie en fonction de la tranche de revenu à laquelle on appartient. Autre exemple, qui concerne la justice corrective : l’équité dans l’application des lois par les juges. Il s’agit de prendre en considération les différences de situation, la particularité de chaque situation, afin de faire respecter l’esprit de la loi plutôt que la lettre de la loi, en relativisant le principe de l’égalité devant la loi. Le cas emblématique est celui de la mère de famille qui vole pour nourrir ses enfants ou (cas d’euthanasie, plus actuels et qui ont été médiatisés ces dernières années) qui provoque la mort de son enfant lourdement handicapé ou gravement malade pour mettre un terme à ses souffrance. Ces cas particuliers et bien d’autres conduisent à pose la question : faut-il toujours appliquer la loi dans toute sa rigueur ?

L’égalité stricte et l’équité sont en vérité deux variantes du principe d’égalité, de l’égale considération de tous. La notion d’équité est étymologiquement indissociable de celle d’égalité (aequus signifie « égal »). L’égalité stricte est, comme le remarquait déjà Aristote, une égalité arithmétique du type 1 = 1. C’est le principe – la même part pour tous – qu’on applique en partageant le gâteau d’anniversaire : un enfant, une part de gâteau identique (mesurée au trébuchet, sinon les enfants protestent). C’est aussi, autre exemple, le principe du suffrage universel : « un homme, une voix ». L’équité est le principe de l’égalité proportionnelle : il s’agit de respecter une égalité de rapports. C’est cette conception que l’on mobilise pour justifier une différence de distribution, lorsqu’on dit « à chacun selon ses besoins » ou « à chacun selon son mérite« . Ce qui signifie, pour la première formule, « il faut que celui qui a moins reçoive une part plus importante, proportionnelle à ses besoins », et pour l’autre, « il faut que celui qui a fait plus reçoive une part plus importante, proportionnelle à son mérite (à la valeur de son action) ». Le fait de pouvoir mobiliser plusieurs conceptions de l’égalité rend complexe la réflexion sur la justice. Il est par exemple possible, même si cela peut sembler paradoxal, de justifier l’inégalité parmi les hommes au nom d’une conception de l’égalité. Quand on parle d’égalité, il faut donc toujours se demander : de quelle égalité parle-t-on ?

Le débat politique moderne sur la justice concerne principalement la question de la justice sociale et met aux prises le libéralisme et le socialisme. La conception libérale de la justice est parfaitement formulée par l’article 1 de la Déclaration des droits de 1789, qui vise à justifier l’abolition des privilèges aristocratique et, accessoirement pour l’époque, l’abolition de l’esclavage : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » La première phrase énonce le principe de l’égale liberté. Les libertés garanties par l’Etat aux individus (sécurité, propriété, liberté de travailler, liberté d’expression, de religion, etc.) doivent être les mêmes pour tous. En matière de répartition des droits, c’est donc pour le libéralisme politique le principe de l’égalité stricte qui doit être appliqué : la même part de liberté pour tous. Il en résulte l’égalité des chances d’accéder à toutes les positions sociales, qui justifie en retour les « distinctions sociales », c’est-à-dire les différences de fonction et de revenu. Dès lors que chacun est libre de travailler, de commercer et d’entreprendre, considèrent les libéraux, l’inégalité des richesses est toujours juste et favorise, en vertu de la concurrence et des lois du marché, « l’utilité commune », c’est-à-dire la prospérité de la société.

Cette conception libérale de la justice n’a jamais cessé d’être critiquée depuis deux siècles, au nom de ce qu’on appelle la « justice sociale », l’exigence d’une intervention de l’Etat pour favoriser l’égalité économique et sociale au moyen d’une redistribution des richesses produites par l’économie. Historiquement, le débat entre libéralisme et le socialisme a pris la forme d’une opposition entre liberté et égalité. Si on applique le principe de l’égalité stricte à la répartition des richesses (sur le modèle du partage du gâteau d’anniversaire), on obtient le communisme. Le communisme se définit toutefois par l’abolition la propriété privée, principalement la propriété des moyens de production qui permet à l’Etat de devenir le maître de l’économie, condition de réalisation de l’égalité. Au regard des libéraux, le communisme signifie l’abolition d’une liberté fondamentale, la liberté de travailler et d’entreprendre, ainsi que du droit de jouir des fruits de son travail qui accompagne cette liberté. Libéralisme et communisme représentent deux modèles de la société juste radicalement antagonistes : le libéralisme défend l’égale liberté et justifie l’inégalité des richesses comme conséquence inévitable de la garantie des libertés (de l’égalité en droits); le communisme refuse l’inégalité des richesses et propose l’abolition des libertés économiques par l’Etat comme moyen de parvenir à l’égalité.

Qu’est-ce qu’une société juste ? Comme pour toutes les autres questions philosophiques, le débat relatif à cette question ne peut être définitivement tranché. Le cadre démocratique a toutefois permis la recherche d’une synthèse entre libéralisme et socialisme. La mise en place en Europe, au milieu du 20e siècle, de ce qu’on a appelé l’Etat-providence (ou Welfare State, l’Etat du bien-être) en constitue la formule politique. L’Etat doit garantir les libertés fondamentales, parmi lesquelles les libertés économiques et le droit à la propriété privée, mais il doit aussi se soucier du bien-être des citoyens et mettre en place une sécurité sociale (protection contre le chômage, la pauvreté, la maladie et la vieillesse) au moyen de la redistribution des richesses. Les droits sociaux sont venus compléter les droits-liberté sans les abolir, tandis que la révolution russe de 1917 a fourni une illustration des inconvénients du communisme : l’appropriation collective des moyens de production requiert non seulement l’abolition des libertés économiques mais aussi la suppression des libertés politiques; la collectivisation de l’économie s’est en outre avérée moins efficace que le système capitaliste fondé sur les libertés économiques pour créer de la prospérité économique.

Le débat contemporain sur la justice porte sur un aspect du libéralisme : la question de l’égalité des chances. L’égalité en droits (l’absence de privilèges, c’est-à-dire de différence de droits) garantie à tous le droit d’accéder à toutes les positions sociales et à tous les niveaux de richesse. L’égale liberté implique que tout est possible pour tous. L’égalité en droits suffit-elle pour autant à garantir une réelle égalité des chances ? Il y a des raisons d’en douter, du fait de la différence des situations de départ, de l’inégalité des conditions. Ces différences peuvent être dues à la nature et aux accidents de la vie (handicaps, maladies), à l’inégalité sociale (inégalité des richesses, inégalité géographique, inégalité éducative en fonction du « capital culturel » familial), ou encore aux discriminations (liées au sexe ou à l’appartenance à une minorité). La question des conditions de réalisation de l’égalité des chances donne lieu à des débats analogues à ceux qui ont opposé libéralisme et socialisme : aux partisans d’une stricte égalité en droits s’opposent les défenseurs de l’équité qui réclament des mesures concrètes pour égaliser les chances, lesquelles peuvent aller jusqu’à la rupture de l’égalité en droits (les « discriminations positives »).

La nature

La notion de nature revêt plusieurs sens, parfois entremêlés :

1) La nature peut désigner le Tout dont l’humanité n’est qu’une partie. La nature désigne la totalité de ce qui existe en un sens large, l’univers, l’ensemble du monde physique ou matériel par opposition au surnaturel (qu’on admette ou non l’existence de celui-ci) ou bien en un sens plus restreint, l’ensemble du monde vivant, des écosystèmes. Quand on évoque les rapports de l’homme et de la nature, il est question de la relation de l’humanité à son écosystème. La nature comme écosystème est le système des éléments physico-chimiques et organiques interdépendants (ce qui comprend notamment l’atmosphère et le climat terrestres, l’eau, la diversité des formes de vie végétales et animales) qui font de la Terre un monde où la vie et l’humanité peuvent prospérer. D’où la tentation de personnifier et de déifier la Nature : en tant que source de vie, la Nature est bienfaisante. Elle est la maison commune à l’ensemble des formes de vie qui constituent ensemble une grande famille solidaire. D’où l’écologie, le discours sur le foyer (oikos en grec, d’où dérive « éco » dans économie, écologie, écosystème), qu’il convient de protéger et d’entretenir contre les menaces de destruction afin de préserver les conditions de la vie sur Terre et de la survie de l’espèce humaine pour les temps à venir.

2) La nature peut aussi désigner, c’est même son sens premier, tout ce qui existe et qui arrive indépendamment de l’activité humaine, tout ce qui existe et qui n’est pas l’homme ou production de l’homme. Le naturel en ce sens ne s’oppose pas au surnaturel mais à l’artificiel, au produit de l’art ou de la technique. Le naturel est ce qui est donné, ce qui se produit tout seul, par opposition à ce qui est inventé et fabriqué par l’homme et qui n’existerait pas sans l’intervention humaine. Nature traduit le latin natura et le grec phusis (à l’origine du mot « physique »). Le terme latin comme le terme grec sont associés à la notion de naissance (natura est dérivé de nasci, qui signifie « naître », phusis, de phuein, qui signifie « croître, pousser, naître »), c’est-à-dire au mode d’engendrement du réel qui est propre au vivant. La nature désigne donc l’inné, ce qui est donné à la naissance et qui procède de l’autoproduction de la vie, par opposition à la culture, ce qui est acquis (ajouté à la nature, résultant d’une innovation), construit par l’histoire et transmis par l’éducation.

Cette définition de la nature et l’opposition entre la nature et la culture conduisent à présenter l’histoire de l’humanité comme étant l’histoire d’une sortie de la nature, d’une lutte de l’homme contre la nature ou d’une conquête de la nature par l’homme. La nature, c’est le monde de la vie originaire, « sauvage », présent sur Terre avant l’arrivée de l’homme, ou bien avant le début de la civilisation, marqué par la révolution du néolithique, le passage de la condition de chasseur-cueilleur (le mode du vie humain le plus « naturel ») à celle de la vie sédentaire d’un agriculteur et/ou d’un éleveur. La nature, c’est encore « l’environnement », le monde naturel autour de l’homme, l’être à part dont le monde n’est plus un monde naturel. Cette distinction-opposition de l’homme et de la nature demeure au cœur de l’écologie contemporaine (qui entend protéger la nature de l’activité humaine). Récemment (en 2000 exactement), est apparu un nouveau concept, l’Anthropocène, pour désigner la dernière époque de l’histoire de la Terre. En 4,5 milliards d’années d’existence, celle-ci a traversé un certain nombre de périodes différentes. Les deux phases les plus récentes (kainos, qui a donné « cène », signifie en grec « nouveau, récent ») sont le Pléistocène (depuis 2,6 millions d’années avant le présent jusqu’à il y a environ 12 000 ans), une période glaciaire, et l’Holocène (les 12 000 dernières années donc), caractérisée comme une période interglaciaire. La stabilité climatique de l’Holocène a sans doute favorisé le développement de la civilisation. Les géologues en sont venus à proposer d’ajouter une nouvelle époque, l’Anthropocène (« l’âge de l’homme ») pour désigner le nouvel âge de la Terre ouvert par la révolution industrielle des deux derniers siècles. Cette ultime période est caractérisée par le fait que, pour la première fois dans l’histoire de la Terre, l’humanité est plus forte que la nature : elle représente une force de changement surpassant les forces géophysiques et contribuant à transformer radicalement le climat et les écosystèmes. Dans le discours écologique, l’humanité comme force de changement est perçue comme une menace pour le monde de la vie et pour l’humanité elle-même. On peut cependant poser la question du moteur de l’histoire de la civilisation. Pourquoi l’homme est-il sorti de la nature ? Si la nature était exclusivement et essentiellement bienfaitrice, pourquoi les hommes ne se seraient-ils pas contentés de ce qu’elle leur offrait ? Si par son travail, l’humanité s’est arrachée à la nature et s’est efforcée de la transformer, c’est à l’évidence pour échapper aux maux dont celle-ci l’accablait, la faim, le froid, les prédateurs et les maladies (les virus étant des sortes de prédateurs), et tenter ainsi d’améliorer sa condition.

La nature est certes admirable, mais pour pouvoir disposer du loisir de la contempler, de l’étudier et de l’admirer, il fallait d’abord la mettre à distance, échapper à la condition naturelle qui est celle, pour l’homme comme pour les autres animaux, de la « loi de la jungle », c’est-à-dire de la lutte permanente pour la survie à court terme. C’est d’ailleurs en raison de sa position d’extériorité par rapport à la nature que l’homme peut aujourd’hui se concevoir comme responsable de la nature afin de l’aménager en fonction de ses intérêts et de son goût de la beauté.

3) La nature peut aussi désigner ce qui constitue en propre un être. La nature ou l’essence d’une chose est sa définition réelle, l’ensemble des caractéristiques originaires qui déterminent son être et son devenir et qui permettent de l’identifier. La notion de « nature humaine », importante en philosophie, peut cependant être interprétée en deux sens, un sens philosophique et un sens scientifique. Au regard de la science moderne, la nature humaine est la nature biologique (génétique) de l’homme, celle que les généticiens invoquent pour considérer qu’il n’existe pas de races humaines, ce qui signifie que notre espèce, homo sapiens, est définie par une identité génétique commune à toute l’humanité, par-delà les différences physiques superficielles. Au sens philosophique, la nature humaine désigne l’ensemble des qualités et des facultés (la raison, la conscience, la liberté et la perfectibilité, la technique, le langage, etc.) universelles, c’est-à-dire présentes chez tous les hommes, en tous lieux et en tous temps. La recherche du « propre de l’homme » vise à identifier la (les) qualité(s) ou faculté(s) qui distingue(nt) l’homme des autres animaux. On peut dire de manière paradoxale que du point de vue de l’humanisme philosophique, le parti-pris philosophique selon lequel le propre de l’homme est la liberté et/ou l’historicité (la faculté de sortir de la nature pour faire son histoire, construire dans le temps ses conditions d’existence), la nature humaine est de ne pas avoir de nature. « Il n’y a pas de nature humaine » proclame par exemple Jean-Paul Sartre. Ce qui ne signifie évidemment pas que l’homme n’a pas de nature biologique : la formule signifie que l’homme n’est pas essentiellement déterminé, ou exclusivement déterminé, par sa nature biologique. A l’inverse, le naturalisme désigne le parti-pris philosophique selon lequel l’homme (y compris la dimension historique ou culturelle de la condition humaine) est en dernière instance déterminé par sa nature biologique, héritée de l’évolution des espèces.