Le travail (synthèse)

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Le travail est l’activité économique de l’homme, l’activité qui a pour but de vaincre le besoin en produisant les biens nécessaires à la vie. L’économie est l’organisation sociale du travail. Du point de vue de l’individu, le travail est l’activité qui permet de « gagner sa vie ».

L’activité économique, celle de la société et celle de l’individu, est imposée par la nécessité naturelle : le besoin est originairement celui de notre nature animale, laquelle nous contraint au travail. Au travail, on oppose donc le loisir ou l’oisiveté (skholè en grec, otium en latin), c’est-à-dire le temps libre, le temps libéré du travail, durant lequel il est possible de livrer à des activités qui ne sont pas imposées par la nécessité du besoin.

Le débat sur le travail porte donc à la fois sur le travail et sur le loisir, sur le sens de cette opposition entre travail et loisir. L’homme est-il destiné au travail ou au loisir ? Faut-il considérer le travail comme une valeur, ou bien comme une contrainte dont il importe de pouvoir se libérer dans la mesure du possible ?

« Le travail éloigne de nous trois maux, écrit Voltaire, l’ennui, le vice et le besoin. » Dans cette perspective qui donne au travail une valeur morale, celui-ci n’est pas seulement la source de la création de richesses qui nous met à l’abri du besoin, comme l’affirment les économistes, mais aussi ce qui permet d’éviter les inconvénients de l’oisiveté, l’ennui (le désoeuvrement) et la paresse (la tendance naturelle à ne rien faire) : sans la contrainte du travail, l’homme n’aurait ni l’envie ni la volonté de faire quelque chose. Les critiques de la valeur du travail soulignent le fait que pour tout homme et depuis toujours le travail est un moyen et non un but. Le travail se définit par la contrainte, imposée à la fois par la nature et par la société. Le travail est souffrance et esclavage («Celui qui ne dispose pas des deux-tiers de sa journée est un esclave» écrit Nietzsche), de sorte qu’il ne peut y avoir de bonheur et de liberté que dans le loisir. Dans cette perspective, l’idéal est le loisir, la réduction du temps de travail et la conquête du temps libre.

Les arguments contre le travail
Le travail est une contrainte imposée par la nature

Le travail est une fin (un but) imposée par la nature. On travaille pour gagner sa vie, on perd sa vie à la gagner. L’un des slogans de Mai 68, « Métro-boulot-dodo », exprime l’absurdité d’une existence vouée au travail. C’est le besoin, c’est-à-dire la nécessité naturelle, qui contraint l’homme à travailler. Le travail (l’activité économique) symbolise donc la condition animale de l’homme : il faut produire les biens nécessaires à la vie ; toute l’activité animale se résume à ça. L’homme accède à une vie authentique, une vie libre et heureuse, dans la mesure où il échappe au travail. Raison pour laquelle l’aristocrate, dans les sociétés aristocratiques, a pour devoir et pour privilège de ne pas travailler, pouvant ainsi se consacrer à des activités supérieures, des activités « nobles ».

Le travail soumet l’individu à la contrainte sociale

Pour gagner sa vie, l’individu doit s’insérer dans l’organisation sociale du travail telle qu’elle existe dans la société où il vit, à l’époque dans laquelle il vit. Le système de production le considère comme un instrument de production, une ressource disponible. Il doit se plier à une discipline collective, se soumettre à une hiérarchie, consentir à ce que l’organisation lui impose son emploi du temps et l’usage de sa force de travail. L’individu au travail doit consentir à devenir un rouage de la machine de production. A cet égard, le travail peut apparaître comme une forme de contrôle social destiné à empêcher l’individu de penser par lui-même, de vivre pour lui-même, d’épanouir librement ses facultés créatrices. L’esprit libre, l’individu authentique, l’artiste par exemple, est celui qui refuse de conformer sa vie et sa pensée aux exigences du système de production. Pour être vraiment libre, l’homme doit chercher l’oisiveté et fuir le travail.

Les arguments pour le travail
Travailler, c’est gagner son indépendance

« Qui ne travaille pas ne mange pas », dit Saint-Paul. La formule ne signifie pas seulement que le besoin impose à l’homme de travailler, mais aussi qu’il y a un mérite moral à travailler. Celui qui travaille ne compte pas sur les autres pour vivre, il ne vit pas en passager clandestin aux dépens des autres. Par là même, il ne dépend pas des autres, il gagne non seulement son pain mais aussi sa liberté. L’indépendance économique est une condition de la liberté d’action. La volonté n’est souveraine que si l’on ne dépend pas des autres pour décider. Raison pour laquelle l’émancipation de l’enfant dans la famille, l’émancipation des femmes dans la société, passe par l’accès au monde du travail, lequel permet d’accéder à l’indépendance économique.

Travailleur, c’est œuvrer (le travail est le propre de l’homme)

Le travail ne consiste pas seulement à produire des biens pour la consommation. Travailler, c’est œuvrer, c’est-à dire réaliser une œuvre, donner une forme concrète à un projet, une idée élaborée par l’esprit humain. Il n’y a pas d’activité industrielle sans ingénieurs, mais dans le plus humble travail manuel, la main est guidée par l’intelligence de l’esprit, laquelle s’applique à la matière et conçoit chacune des opérations du travailleur comme étant au service de la fin que celui-ci se donne, l’œuvre à réaliser. Il y a donc une morale propre au travail, l’amour du travail bien fait, qui donne une valeur au travail en lui-même.

Le travail est le moteur de la civilisation

A travers le travail que lui impose la nature, l’homme œuvre, en cultivant ses facultés. Le développement scientifique et technique, œuvre de l’esprit humain, résulte de l’aiguillon du besoin, du travail auquel la nature contraint l’homme. C’est la thèse de Karl Marx : le travail est l’application de la force de l’homme (force du corps et de l’esprit) appliquée à la nature, une activité par laquelle l’homme transforme la nature et se transforme lui-même, transforme sa condition dans l’histoire. Les libéraux disent cependant la même chose : si la concurrence est une vertu à leurs yeux, c’est qu’elle contraint les hommes à donner le meilleur d’eux-mêmes, à se cultiver (c’est-à-dire à cultiver leurs compétences) par intérêt. Sans cette stimulation, la paresse l’emporterait et l’humanité ne pourrait développer toutes ses potentialités.

Le travail est la source de la création de richesse.

La théorie de la valeur-travail, introduite par le libéralisme moderne, fait du travail la source de la création de richesse et le fondement du droit de propriété. Il en résulte une réévaluation de la place du travail et de l’économie dans la société. Les acteurs de la production économique, paysans, entrepreneurs, ouvriers, sont valorisés en tant qu’ils représentent la source de la prospérité, condition à la fois du progrès social et de la puissance politique. Adam Smith distingue entre activités productives (créatrices de richesse) et activités improductives (consommatrices de richesses) : toutes les activités considérées dans la société aristocratique comme nobles, qualitativement supérieures au travail, appartiennent à la catégorie des activités improductives.

La critique du travail aliéné. Les interprétations du travail aliéné.

Une théorie peut valoriser le travail et critiquer le travail aliéné. C’est notamment ce qui caractérise le marxisme. Marx adhère à la théorie de la valeur travail et il considère que le travail est le moteur de la civilisation. Il considère néanmoins que dans l’histoire, l’organisation sociale du travail (ce qu’il appelle le mode de production) a toujours été fondée sur un rapport de propriété instituant un rapport social de domination, le rapport entre maîtres et esclaves par exemple. Dans toute société, il existe une classe dominante, qui possède les moyens de la production économique, et des dominés, contraints pour survivre de travailler pour la classe dominante. Dans le cadre d’un tel rapport de domination de classe, le travail ne peut être qu’aliéné.

Aliénation signifie dépossession. Pour Marx, le système de domination fondé sur la propriété privée des moyens de production fait subir aux travailleurs une double dépossession : 1) une part de richesse produite par son travail, la plus importante, revient au propriétaire qui l’exploite ; 2) le propriétaire dicte les conditions de travail afin de maximiser l’exploitation de la force de travail, privant ainsi le travailleur de libre maîtrise de son travail. Dans le système capitaliste, où la propriété qui compte est non plus la propriété de la terre mais celle du capital, la dépossession de la richesse s’opère à travers le partage inégal salaire/profit, tandis que l’organisation et la discipline du travail (ce qu’on appelle aujourd’hui le «management des ressources humaines») sont imposées aux salariés du capital dans et par les entreprises.

Le travail aliéné est le travail effectué dans des conditions qui privent l’homme de bien-être, de liberté, de la possibilité de cultiver ses talents (son intelligence et sa créativité). C’est cette dimension qualitative du travail aliéné, qui affecte le bien-être et la liberté du travailleur, qui est généralement mis en avant quand on critique le travail aliéné. Pour la théorie critique de la valeur du travail, tout travail est plus ou moins aliénant, de sorte qu’il ne peut y avoir de liberté et de bonheur pour l’homme que dans le loisir (le temps libre). Pour les théories qui valorisent le travail, celui-ci devrait être pour l’homme une source d’épanouissement, en tant qu’il permet d’œuvrer, de mettre son esprit en activité, de se reconnaître dans l’œuvre accomplie à la manière de l’artiste. Le travail, dans cette perspective, n’est pas aliénant en lui-même. S’il l’est, c’est en raison de la manière dont est organisée l’activité économique, de sorte que subsiste l’espérance qu’une réforme ou qu’une révolution puisse transformer le travail afin de le rendre conforme à son essence.

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