Education Morale et Civique

Le programme de l’année.

Le but de l’éducation morale et civique est d’initier une prise de conscience de la condition politique. Nous ne sommes pas simplement des êtres humains, pouvus, en tant qu’hommes, de caractéristiques naturelles communes, ni des individus, dotés d’intérêts, de liens et de passions qui leur sont propres, mais nous sommes aussi des citoyens, dont la condition est définie par les lois de l’État auquel nous appartenons. En tant que membres d’un État, nous sommes assujettis aux lois (soumis à des lois auxquelles nous sommes tenus d’obéir); en tant que membres d’un État démocratique, nous sommes aussi membres du souverain (le peuple), ce qui signifie que nous sommes les auteurs des lois auxquels nous obéissons. En démocratie, autrement dit, le citoyen n’est pas passif mais actif : il n’est pas seulement un sujet mais un acteur. En démocratie, le peuple (l’assemblée des citoyens) dispose même en dernière instance du pouvoir de changer la constitution du pays, sa loi fondamentale. Il est donc important que chacun connaisse, sinon la constitution elle-même, du moins les principes qui la fonde ainsi que, dans leurs grandes lignes, les droits et les devoirs du citoyen et de l’État.

Lexique

L’État – La notion désigne 1) La communauté politique, c’est-à-dire une communauté humaine unie par des lois imposées par un pouvoir; 2) Le pouvoir qui impose les lois à une population sur un territoire donné et qui rend possible l’existence d’une communauté politique indépendante.

La France est un État (sens 1) parmi les 197 qui composent la communauté internationale. L’État en France (sens 2) désigne l’ensemble des institutions qui composent la puissance publique et qui peuvent s’appuyer sur le « monopole de la violence légitime ». Le monopole de la violence légitime (formule du sociologue allemand Max Weber) signifie qu’il ne peut y avoir de communauté politique unifiée et indépendante sans 1) un monopole de l’usage de la violence sur un territoire donné, c’est-à-dire une police et une police et une armée capables de défendre l’État contre ses ennemis intérieurs et extérieurs; 2) le consentement de la population (« légitime » signifie « justifié ») au pouvoir, consentement sans lequel aucun État ne pourrait exister durablement.

Le pouvoir est composé en réalité de trois pouvoirs : 1) le pouvoir législatif (le pouvoir de faire des lois, exercé en France par le Parlement, composé de l’Assemblée nationale et du Sénat); 2) le pouvoir exécutif (le centre de décision qui dirige les actions de l’État, exercé en France directement par le chef de l’État, le ¨Président de la République, et par son gouvernement); 3) le pouvoir judiciaire (l’institution judiciaire, les juges qui veillent au respect des lois).

Le citoyen – Le membre de l’État. Le citoyen est 1) un sujet de l’État, défini par le devoir d’obéissance aux lois de l’État; 2) en démocratie, un membre souverain, détenteur d’une part de la souveraineté.

La citoyenneté – La qualité de citoyen (les droits et les devoirs du citoyen).

La souveraineté – l’autorité suprême, le pouvoir de décider et d’imposer sa volonté sans dépendre de la volonté d’aucun autre. 1) La souveraineté de l’État est son indépendance à l’égard des autres États; 2) la souveraineté dans l’État (le souverain) est la volonté qui dispose du pouvoir de décision sans appel.

Le civisme – La vertu du citoyen, le respect du devoir civique d’obéissance à la loi et/ou la volonté de faire respecter les lois, de servir l’État ainsi que les intérêts de la communauté nationale.

civique – Ce qui est relatif à la condition politique du citoyen. Ex. : droits et devoirs civiques; instruction civique; esprit civique.

civil – Ce qui est relatif à la vie de la Cité, c’est-à-dire de la communauté nationale (Ex; : la guerre civile). Le terme a cependant divers usages de sens différents. Il peut désigner ce qui relève du domaine du droit de l’État distingué de la religion (« mariage civil », distinct du « mariage religieux ») ou ce qui relève de la vie sociale ordinaire (la « vie civile ») par contraste avec la vie militaire; au 17e et 18e siècles, l’expression « société civile » signifiait « communauté politique » et désignait l’État; depuis le 19e siècle, cette même expression désigne le domaine de la société distingué du domaine de l’État. Appliquée à la citoyenneté, la notion est relative à la condition du citoyen en tant que personne privée. Le droit civil règle les relations entre les individus, le droit qui encadre les contrats. Les droits civils désignent les droits des citoyens en tant que personne tandis que les droits civiques sont les droits du citoyen en tant que citoyen (droits politiques). Le terme « civil » est aussi un synonyme de « poli » ou « courtois ».

La civilité, l’incivilité – La civilité désigne la manière courtoise et polie de vivre et de se comporter en société. C’est un synonyme de « politesse » et « courtoisie ». L’incivilité désigne une manière impolie, voire brutale ou violente.

La démocratieL’étymologie : du grec ancien, « dêmos » signifie le peuple et « kratos » le pouvoir. La définition : « La démocratie, c’est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (Abraham Lincoln).

La républiqueL’étymologie : du latin res publica, « la chose publique ». La définition : 1) Tout régime politique qui n’est pas une monarchie (l’État est la chose publique, un Bien commun, quand il n’est pas un domaine royal); 2) Le règne des lois, en tant que celles-ci sont l’expression de la volonté générale; « J’appelle République tout État régi par des lois » (Jean-Jacques Rousseau).

Le vocabulaire utilisé pour évoquer la condition politique est hérité du grec et du latin. La notion de démocratie, de « dêmos » (peuple) et « kratos » (pouvoir),  a pour origine Athènes. Elle désignait le régime politique apparu dans la cité athénienne au VIe siècle avant notre ère et disparu à l’époque de la constitution de l’empire macédonien par le père d’Alexandre le Grand, au IVe siècle avant notre ère. La notion de république, « res publica« , a pour origine Rome. Elle désigne la période de l’histoire de la Rome antique conduisant de la chute de la royauté (fin VIe siècle avant notre ère) jusqu’à la constitution de l’empire et l’avènement du premier empereur romain, Auguste, en 29 avant J.-C. Athènes et Rome (avant de devenir capitale d’un empire) étaient à la fois des villes et des États, des cités-États. En conséquence, on utilise aujourd’hui encore la notion de « Cité » (avec un C majuscule), qui a pour origine polis en grec et civitas en latin (qui signifiait aussi « citoyenneté »), pour désigner « l’État » (avec une majuscule également). De polis, on dérive les mot « politique » et « police » (la force publique au sein de l’État); « citoyen » traduit le latin « civis », dont dérivent également les mots « civisme », « civique », « civil » et « incivilité ».

La France est une république dans les deux sens du terme : elle n’est pas une monarchie et sa constitution se fonde sur le principe selon lequel selon lequel « la loi est l’expression de la volonté générale » (article 6 de la Déclaration de 1789) : cela signifie en théorie que lorsque le souverain n’est pas un roi (une volonté particulière), nul n’est au-dessus des lois, seule règne la loi, c’est-à-dire la volonté générale. La notion de république ainsi comprise se confond avec celle de démocratie, puisque affirmer que la loi est l’expression de la volonté générale signifie que le peuple doit être l’auteur de la loi à laquelle il obéit.

La laïcité – Le principe de la séparation de l’État et de la religion, du temporel et du spirituel. L’État laïque est « L’État neutre entre tous les cultes, indépendant de tous les clergés, dégagé de toute conception théologique. » (Ferdinand Buisson).

La constitution – La loi fondamentale de l’État, qui détermine qui doit gouverner et comment, définit l’organisation des pouvoirs, règle leur exercice et leurs rapports ainsi que les rapports de l’État et du citoyen. La constitution fixe l’identité de l’État, les principes et les règles qui président à son organisation dans la durée. La constitution peut être écrite ou non écrite (établie par la coutûme, la tradition). Dans la conception de la démocratie moderne, le droit du peuple de se donner une constitution est indissociable de la théorie de la souveraineté du peuple et devient ainsi un enjeu de la réflexion et du débat politiques.

La typologie classique des constitutions ou régimes politiques (politeia en grec) remonte à l’antiquité et distingue les formes d’État en prenant pour critère le détenteur du pouvoir : on distingue 1) la monarchie (le pouvoir d’un seul); 2) l’aristocratie (le pouvoir de quelques-uns, d’une élite, les « aristoï« , « les meilleurs »); 3) la démocratie (le pouvoir de tous). La république à Rome désigne l’État en tant qu’il n’est plus la propriété d’un seul (le roi), mais la « chose de tous », la chose commune. En réalité, il s’agissait d’un régime aristocratique, le pouvoir étant exercé par le Sénat, siège des patriciens, les chefs des grandes et antiques familles romaines. La tyrannie est une notion qui vient des grecs : elle désigne le pouvoir d’un seul en tant qu’il n’est pas fondé sur une légitimité traditionnelle (la lignée royale). Le tyran est ce que nous appelons aujourd’hui un dictateur, un dirigeant qui a conquis le pouvoir par la force, avec ou sans l’assentiment du peuple. L’oligarchie désigne le pouvoir d’une élite caractérisée non par le prestige ancestral qui caractérise l’aristocratie ou la noblesse mais par la richesse. La théocratie (de theos, dieu ou le divin, et kratos, pouvoir) désigne le pouvoir exercé au nom de Dieu. Au sens strict, il s’agit du pouvoir exercé directement par des prêtres; au sens large, il s’agit d’un pouvoir qui justifie son action et les lois par référence à la religion.

L’époque moderne, à partir du 16e siècle, a vu naître et se développer une philosophie politique, le libéralisme, qui a conduit à simplifier la classification des régimes politiques, en opposant l’État libre (le seul légitime au regard du libéralisme politique) au despotisme (tout régime opprimant la liberté). L’État libre est appelé république ou démocratie. Le terme « démocratie » peut paraître préférable dans la mesure où les deux sens de la notion de « république » ne sont pas toujours réunis (on peut difficilement dire d’une monarchie parlementaire comme celle du Royaume-Uni qu’elle est une « république »), tandis que la théorie de la souveraineté du peuple est aujourd’hui une référence universelle. A elle seule, la notion de « démocratie » ne peut toutefois suffire à caractériser les démocratie modernes, raison pour laquelle on précise à leur sujet qu’il s’agit de démocraties libérales, ou de démocraties représentatives. Les régimes despotiques peuvent recevoir diverses appellations : régimes autoritaires, quand il s’agit de simples dictatures militaires, régimes totalitaires, pour désigner la tyrannie d’une idée, lorsque, au nom d’une idéologie (historiquement, le communisme et le nazisme), l’État entreprend d’endoctriner les esprits, de transformer l’homme et la société, voire d’éliminer physiquement une partie de la population. Aujourd’hui, on utilise l’expression « démocratie illibérale » pour désigner des régimes politiques, comme la Russie de Vladimir Poutine, dans lesquels des élections permettent au peuple de s’exprimer sans que les libertés politiques soient respectées.

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli et le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen.

Article 1erLes hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Article 2Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance  à l’oppression.

Article 3Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. 

Article 4La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres menmbres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Article 5La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Article 6La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents. 

Article 7 – Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.

Article 8 – La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

Article 9 – Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Article 10Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.

Article 11 La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut dont parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Article 12 – La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

Article 13 – Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Article 14 – Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

Article 15 – La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Article 16Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution.

Article 17 – La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. 

L’idée moderne de république

La Constitution française du 4 octobre 1958, dans son article premier, définit ainsi le régime politique de la France : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. » La référence principale pour définir le régime politique choisi par l’État français est l’idée de république : la France est une « république indivisible« .

L’idée moderne de république, inconnue des Grecs et des Romains de l’antiquité, est fondée sur la définition de l’homme par la liberté, affirmée dans l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » La liberté est celle de l’individu et l’égalité a le sens d’une égale liberté entre tous les individus. Dans l’État libre, il ne peut y avoir ni maître ni esclave, pas même la soumission au souverain maître de l’État.

Quel doit être la constitution de l’État d’un peuple libre ? Telle est la question à laquelle les fondateurs des républiques modernes ont tenté de répondre. « Le but d’une société libre doit être de limiter le plus possible le gouvernement des hommes par les hommes et d’accroître le gouvernement des hommes par les lois » : cette formule de Raymond Aron, un penseur politique libéral du 20e siècle, résume assez bien la problématique qui était celle des des pères fondateurs de la démocratie américaine et des révolutionnaires français à la fin du 18e siècle.

« Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas; il a des chefs et non pas des maîtres; il obéit aux lois, mais il n’obéit qu’aux lois, et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes » : cette phrase de Jean-Jacques Rousseau est sans doute l’une des meilleures définitions possibles de l’idéal républicain. C’est du Contrat social de Rousseau (1762) qu’est tirée la théorie de la loi comme expression de la volonté générale que l’on trouve formulée dans l’article 6 de la Déclaration de 1789. La volonté est générale, écrit Rousseau, « quand tout le peuple statue sur tout le peuple« , c’est-à-dire quand tous participent à la formation de la loi et quand la loi est la même pour tous, qu’elle ne fait pas de discriminaton entre différentes catégories de citoyens. La république qui établit l’égalité devant la loi « sans distinction d’origine, de race ou de religion », comme le précisera la constitution de 1958 est véritablement « indivisible ». Les deux conditions pour que la volonté soit générale et qu’il n’y ait dans l’État d’autre souverain que le peuple étaient, aux yeux des révolutionnaires et des républicains français, l’institution du suffrage universel et l’égalité devant la loi. C’est ainsi que la théorie de l’État comme république conçoit la conciliation de de la liberté et de l’État. L’obéissance à la loi, en tant que celle-ci est l’expression de la volonté générale, est liberté, puisque « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » (Rousseau).

La doctrine des droits de l’homme

Les constitutions des démocraties modernes se donnent pour but de promouvoir la liberté individuelle. Comme le précise son préambule, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 a pour raison d’être de formuler « les principes simples et incontestables » qui définissent « le but de toute institution politique ». L’État, dans les théories du contrat social des 17e et 18e siècles, est conçu comme une association d’individus libres et égaux afin de garantir leurs droits. Comme le précise l’article 16 de la Déclaration, une constitution qui n’aurait pas pour finalité de sauvegarder les droits des individus, de protéger la liberté individuelle contre les abus du pouvoir, n’aurait aucune validité : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. » La fonction de la Déclaration des droits est de formuler une théorie de l’État juste, une conception de la justice cohérente qui puisse servir de norme, d’idéal, pour construire et évaluer les textes constitutionnels et les institutions étatiques.

La définition libérale et moderne de l’État est précisément formulée par le philosophe anglais John Locke, principale source d’inspiration des Pères fondateurs de la démocratie américaine : « L’État est une société d’hommes constituée à seule fin de conserver et de promouvoir leurs biens civils » (Lettre sur la tolérance, 1689). Cette simple phrase exprime la nature et le principe de légitimité (sa raison d’être ou justification) de l’État moderne : l’État doit être pensé comme le produit d’un contrat social, d’un pacte d’association entre des individus libres et égaux qui se mettent d’accord pour instituer un pouvoir qui leur impose les lois nécessaires à la protection de ce que Locke appelle ici les « biens civils », les biens que l’État doit protéger. Il les définit ainsi : « J’appelle biens civils la vie, la liberté, l’intégrité du corps et la protection contre la douleur, la possession de biens extérieurs ». Ce sont ces biens civilis que la Déclaration de 1789 appellera les droits naturels de l’homme, tels qu’ils sont énoncés dans l’article 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance  à l’oppression.« 

Le dernier droit, « la résistance à l’oppression », est le droit de révolution qui se déduit de la formulation des buts de l’État : si l’État ne protège plus les droits des individus, il cesse aussitôt d’être légitime. C’est le paradoxe de la citoyenneté moderne : le devoir d’obéir à la loi est conditionné par le devoir de l’État de garantir les droits des individus. Le droit de l’individu est premier (principe) : le devoir d’obéir n’est que sa contrepartie, le moyen nécessaire pour atteindre la fin, c’est-à-dire la conservation de la sécurité, de la propriété et de la liberté. La Déclaration de 1789 formule ainsi l’idée que l’État est une « association politique », le produit de la volonté des individus : son autorité ne repose que sur le consentement de ceux qui y sont soumis.

Il a manque à cet article 2 ce qu’on appellera plus tard « les droits sociaux », la sécurité sociale qu’on peut sans difficulté faire entrer dans les « biens civils » tels que Locke les définissait. Fruit de la réflexion sur la « question sociale » née de la révolution industrielle et de la pression exercée par les mouvements socialistes, la notion de sécurité sociale ne sera véritablement établie qu’au 20e siècle, raison pour laquelle la constitution de 1958 définit aussi l’État français comme une république « sociale ». A l’idée libérale d’un État au service de la liberté individuelle, on a ajouté l’idée socialiste de l’État-providence, de l’État au service du bien-être individuel. Cela ne change toutefois pas sa nature, celle de l’État moderne conçue comme une association des individus libres et égaux en vue de conserver et de promouvoir leurs droits.

L’État laïque : la séparation de l’État et de la religion

La définition de l’État donnée par John Locke contient une autre idée qui caractérise l’État moderne, un principe politique dont cet auteur fait la théorie dans la Lettre sur la tolérance : le principe de la séparation de l’État et de la religion. L’idée que la conservation et la promotion des biens civils est « la seule fin » de l’État, signifie que les biens spirituels (la vérité, la sagesse, le salut de l’âme) ne sont pas du domaine de l’État. Les croyances, le rapport à la vérité, appartiennent à la vie de l’esprit et sont l’affaire de la conscience, non de l’État.

L’État a pour but de protéger les biens que tous les hommes ont en commun quelles que soient leurs croyances, leurs convictions religieuses, philosophiques ou politiques : ces biens communs à tous sont des biens temporels, qui ne concernent pas la vie de l’esprit : la liberté d’action, la propriété des biens légitimement acquis par le travail, la sécurité, la prospérité et la santé (la sécurité sociale). L’État doit en revanche rester neutre dans le rapport à la vérité, ne pas prendre parti entre les religions, ni entre la religion et l’absence de religion. Il doit, autrement dit, respecter le principe de la liberté de conscience, respecter toutes les croyances ainsi que la liberté de croire ou de ne pas croire, s’abstenir de dicter à la conscience ce qu’elle doit croire, de dire le vrai et le faux. Bien que le principe de séparation n’est pas explicité par la Déclaration de 1789, la liberté de conscience s’y trouve affirmée dans les articles 10 et 11 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses » (article 10); « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut dont parler, écrire, imprimer librement » (article 11).

La notion de laïcité émerge en France sous la troisième république, dans les années 1880, sous l’influence de Ferdinand Buisson, qui secondait Jules Ferry lorsque celui-ci a mis en place les lois instituant l’école publique, laïque, gratruite et obligatoire. La laïcité est donc l’expression française du principe de séparation de l’État et de la religion, désigné ailleurs sous le nom de « tolérance ». Ce qui importe est moins le nom que la chose, le principe de séparation. Les différences d’interprétation du principe s’expliquent par l’histoire : aux États-Unis, un État constitué par des chrétiens protestants appartenant à de multiples églises et qui, souvent, fuyaient l’Europe pour échapper aux persécutions religieuses, la neutralité de l’État est interprétée principalement comme le moyen de protéger les religions contre l’État. En France, pays catholique où la République a dû lutter contre le poids et l’influence de l’Église sur la société française, la neutralité a longtemps été perçue principalement comme le moyen d’émanciper et de protéger l’État contre la religion.

La constitution de 1958 présente la France comme une république laïque. La république doit être laïque pour se conformer à son idéal moderne, puisque tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances ou l’église (la communauté religieuse) à laquelle ils appartiennent, ont les mêmes droits naturels et doivent être égaux devant la loi. L’égalité devant la loi « sans distinction de religion » implique un État neutre, qui ne privilégie aucune religion et ne s’associe avec aucune église.

La démocratie représentative

La démocratie est le régime politique fondée sur le principe de la souveraineté du peuple. Les démocraties modernes, que l’on caractérise comme « démocraties libérales » ou « démocraties représentatives » ne reposent pas sur ce seul principe. Elles sont d’une autre nature que la démocratie antique, un régime politique né à Athènes, une cité-État grecque, au huitième siècle avant J.-C. et qui s’est maintenu jusqu’au quatrième siècle avant J.-C., lorsque l’empire macédonien puis l’empire romain ont mis fin à l’indépendance de la Grèce.

Deux différences essentielles distinguent la démocratie moderne de la démocratie antique : 1) La démocratie antique n’est pas fondée sur la philosophie des droits de l’homme, suivant laquelle « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » et dans laquelle l’État est au service des droits de l’individu. Les femmes et les esclaves sont exclus de la citoyenneté et seul l’autochtone (celui qui est né sur le sol d’Athènes) peut être citoyen. En un temps où la guerre est le problème politique majeur, la liberté de la Cité prime sur celle des individus. 2) Chacun des citoyens athéniens, riche ou pauvre, avait le pouvoir de participer à égalité avec tous les autres aux affaires publiques, c’est-à-dire aux délibérations et aux décisions collectives ainsi qu’à l’exercice de la justice. C’est ce qu’on appelle la démocratie directe, ou « participative », qui sert encore aujourd’hui de référence pour critiquer le modèle de la démocratie représentative. La liberté politique, au regard des Athéniens, consistait dans l’égale participation au pouvoir. Le fonctionnement de la démocratie moderne, à l’inverse, repose sur le principe de la représentation, selon lequel le peuple ne gouverne pas directement mais par l’intermédiaire de ses représentants élus, ce qui implique une classe politique professionnelle et la différence entre gouvernants et gouvernés.

Le principe de la représentation se justifie par la taille des États-nations modernes (plusieurs millions d’habitants), mais aussi, c’est le thème du texte suivant de Benjamin Constant, lequel s’achève par une définition du « système représentatif », par un système de valeurs centré sur l’individu et la liberté individuelle (l’individualisme libéral).

Texte de Benjamin CONSTANT, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (1819).

Demandez-vous d’abord ce que de nos jours un Anglais, un Français, un habitant des États-Unis d’Amérique, entendent par le mot de liberté ? C’est pour chacun le droit de n’être soumis qu’aux lois, de ne pouvoir ni être arrêté, ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité d’aucune manière, par l’effet de la volonté arbitraire d’un ou de plusieurs individus. C’est pour chacun le droit de dire son opinion, de choisir son industrie et de l’exercer; de disposer de sa propriété, d’en abuser même; d’aller, de venir, sans en obtenir la permission, et sans rendre compte de ses motifs ou de ses démarches. C’est, pour chacun, le droit de se réunir à d’autres individus, soit pour conférer sur ses intérêts, soit pour professer le culte que lui et ses associés préfèrent, soit simplement pour remplir ses jours et ses heures d’une manière plus conforme à ses inclinations, à ses fantaisies. Enfin, c’est le droit, pour chacun, d’influer sur l’administration du gouvernement, soit par la nomination de tous ou de certains fonctionnaires, soit par des représentations, des pétitions, des demandes, que l’autorité est plus ou moins obligée de prendre en considération. Comparez maintenant à cette liberté celle des anciens.

Celle-ci consistait à exercer collectivement, mais directement, plusieurs parties de la souveraineté tout entière, à délibérer, sur la place publique, de la guerre et de la paix, à conclure avec les étrangers des traités d’alliance, à voter les lois, à prononcer les jugements, à examiner les comptes, les actes, la gestion des magistrats, à les faire comparaître devant tout un peuple, à les mettre en accusation, à les condamner ou à les absoudre; mais en même temps que c’était là ce que les anciens nommaient liberté, ils admettaient, comme compatible avec cette liberté collective, l’assujettissement complet de l’individu à l’autorité de l’ensemble. Vous ne trouverez chez eux presque aucune des jouissances que nous venons de voir faisant partie de la liberté chez les modernes. Toutes les actions privées sont soumises à une surveillance sévère. Rien n’est accordé à l’indépendance individuelle, ni sous le rapport des opinions, ni sous celui de l’industrie, ni surtout sous le rapport de la religion. La faculté de choisir son culte, faculté que nous regardons comme l’un de nos droits les plus précieux, aurait paru aux anciens un crime et un sacrilège. […]

La part que, dans l’antiquité, chacun prenait à la souveraineté nationale, n’était point, comme de nos jours, une supposition abstraite. La volonté de chacun avait une influence réelle; l’exercice de cette volonté était un plaisir vif et répété. En conséquence, les anciens étaient disposés à faire beaucoup de sacrifices pour la conservation de leurs droits politiques, et de leur part dans l’administration de l’État. Chacun, sentant avec orgueuil tout ce que valait son suffrage, trouvait dans cette conscience de son importance personnelle, un ample dédommagement.

Ce dédommagement n’existe plus aujourd’hui pour nous. Perdu dans la multitude, l’individu n’aperçoit presque jamais l’influence qu’il exerce. Jamais sa volonté ne s’empreint sur l’ensemble; rien ne constate à ses propres yeux sa coopération. L’exercice des droits politiques ne nous offre donc plus qu’une partie des jouissances que les anciens y trouvaient, et en même temps les progrès de la civilisation, la tendance commerciale de l’époque, la communication des peuples entre eux, ont multiplié et varié à l’infini les moyens du bonheur particulier.

Il s’ensuit que nous devons être bien plus attachés que les anciens à notre indépendance individuelle. Car les anciens, lorsqu’ils sacrifiaient cette indépendance aux droits politiques, sacrifiaient moins pour obtenir plus; tandis qu’en faisant le même sacrifice nous donnerions plus pour obtenir moins. Le but des anciens était le partage du pouvoir social entre tous les citoyens d’une même patrie. C’était là ce qu’ils nommaient liberté. Le but des modernes est la sécurité dans les jouissances privées; et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances. […]

Que le pouvoir s’y résigne donc; il nous faut la liberté, et nous l’aurons; mais comme la liberté qu’il nous faut est différente de celle des anciens, il faut à cette liberté une autre organisation que celle qui pourrait convenir à la liberté antique. Dans celle-ci, plus l’homme consacrait de temps et de forces à l’exercice de ses droits politiques, plus il se croyait libre; dans l’espèce de liberté dont nous sommes susceptibles,plus l’exercice de nos droits politiques nous laissera de temps pour nos intérêts privés, plus la liberté nous sera précieuse.

De là vient la nécessité du système représentatif. Le système représentatif n’est autre chose qu’une organisation à l’aide de laquelle une nation se décharge sur quelques individus de ce qu’elle ne peut ou ne veut pas faire elle-même. Les individus pauvres font eux-mêmes leurs affaires; les hommes riches prennent des intendants. C’est l’histoire des nations anciennes et des nations modernes. Le système représentatif est une procuration donnée à un certain nombre d’hommes par la masse du peuple, qui veut que ses intérêts soient défendus, et qui néanmoins n’a pas le temps de les défendre toujours lui-même.

Les cinq principes de la démocratie représentative

La démocratie moderne est donc définie par l’association du principe de la souveraineté du peuple et du principe de la représentation. En théorie, le peuple est souverain, en pratique, il exerce sa souveraineté par l’intermédiaire de ses représentants, lesquels gouvernent réellement, au nom du peuple, pour le peuple, mais à la place du peuple. Les critiques adressées à la démocratie représentative consistent généralement à mettre en cause la trahison des intérêts du peuple et la confiscation du pouvoir par l’élite dirigeante : la représentation est présentée comme un pis-aller, un moindre mal, par rapport à l’idéal de la participation directe qui caractérisait la démocratie antique. La démocratie représentative ambitionne cependant d’être le meilleur régime politique possible. Le système représentatif peut paradoxalement prétendre réaliser l’idéal démocratique du gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, mieux que ne saurait le faire la démocratie directe ou participative. On peut caractériser la démocratie représentative par cinq principes constitutifs. Si l’un de ces cinq piliers vient à manquer, la démocratie est bancale ou menace de s’écrouler.

Le mandat représentatif, fondement de l’indépendance des représentants du peuple. La représentation implique le mandat électif: l’opération de l’élection consiste pour les électeurs à confier à un élu le pouvoir de les représenter. Le mandat politique de l’élu consiste à pouvoir agir au nom de ceux qui l’ont élu; il est une procuration données par les électeurs à l’élu, un pouvoir d’agir en leur nom et en leur absence. Le débat essentiel sur la représentation, initié en 1789 et toujours actuel, oppose deux conceptions du mandat du représentant. Selon la conception du mandat impératif, le représentant s’engage à dire et à faire ce qui est exigé de lui par ses électeurs. Sa volonté est dépendante de la volonté de ses électeurs. Cela peut sembler logique si l’on veut que le peuple reste souverain. Paradoxalement, c’est l’autre conception possible du mandat politique, que l’on appelle précisément « mandat représentatif« , qui s’est imposée: selon cette conception, les électeurs confient au représentant le pouvoir de concevoir par lui-même l’intérêt général, de penser et de décider par lui-même, au nom du peuple mais en toute indépendance. Pour le dire simplement : le représentant n’est pas le représentant de ceux qui ont voté pour lui, mais le représentant de la nation tout entière ou du peuple tout entier. Le président de la République est le président de tous les Français, non le président de la majorité qui a voté pour lui: le mandat qui lui est confié est de défendre l’intérêt général, non de réaliser le programme du parti qui l’a élu, qu’il a donc la liberté de « trahir ». C’est ce point qui constitue le clivage essentiel entre démocratie représentative et démocratie participative: la supériorité du système représentatif, aux yeux de ses partisans, réside dans cette indépendance des représentants, considérée comme le moyen donné au peuple de se gouverner efficacement en surmontant ses divisions.

L’élection au suffrage universel. C’est le principe considéré généralement comme le plus important, celui qui symbolise l’idée moderne de démocratie: il y a démocratie quand il y a des élections. Le suffrage universel, la grande revendication républicaine au 19e siècle, est la concrétisation du principe de la souveraineté du peuple. Le suffrage, le vote, est la participation à l’élection par laquelle le peuple choisit ses représentants. Le droit de suffrage est individuel, expression de la liberté politique de l’individu (liberté de participer aux affaires publiques) la plus importante dans une démocratie réprésentative, la liberté de participer au choix des représentants du peuple. Il est universel, expression de l’égalité en droits des individus. Suffrage universel signifie : »un homme, une voix », chacun participant à égalité avec tous les autres. La participation de tous dans l’égalité est requise pour la représentation, la loi et la décision politique puissent être considérés comme l’expression de la volonté générale (l’expression de la souveraineté du peuple ou de la nation).

La délibération publique. Les parlements ou assemblées représentent une institution essentielle de la démocratie. Le parlementarisme (institué en Grande-Bretagne au 17e siècle) a précédé le suffrage universel dans l’histoire de la démocratie moderne. La fonction d’un parlement est la délibération, c’est-à-dire la discussion publique qui doit précéder la décision afin de garantir la prise en considération de tous les intérêts et de tous les arguments. La délibération a pour condition le pluralisme (l’expression de la diversité des opinions), nécessaire au débat contradictoire. Raison pour laquelle la liberté de la presse, et plus généralement la liberté d’expression, est considérée comme l’un des piliers de la démocratie libérale moderne. Du fait du développement du système médiatique, l’espace public de discussion n’est plus confiné aux seules assemblées politiques. Néanmoins la fonction de la représentation demeure essentielle : à défaut des compétences, pas toujours garanties, les élus dont c’est la fonction disposent du temps nécessaire pour prendre connaissance des dossiers et participer de manière constructive à l’élaboration des lois à l’occasion des débats parlementaires.

La décision au nom de l’intérêt général. Gouverner, c’est décider. La décision met un terme à la délibération au moyen de la volonté qui tranche, arbitre, choisit. La volonté peut-être la volonté majoritaire ou la volonté d’un seul. L’efficacité de la décision constitue l’argument politique principal en faveur du pouvoir autocratique (le pouvoir d’un chef). La démocrate est cependant fondée sur le refus de laisser une souveraineté personnelle se substituer à la souveraineté du peuple. La principale critique adressée à la démocratie consiste pourtant dans la dénonciation de la faiblesse de la volonté qui gouverne, précisément parce qu’il n’y a pas « une volonté » apte à décider sans être aussitôt contredite, discutée, voire renversée. Le peuple peut être tenté de confier son destin et le pouvoir à un homme dont la volonté et l’autorité permettront de dépasser les divisions et les obstacles institutionnels pour réaliser l’intérêt général. Le mandat représentatif, en tant qu’il garantit l’indépendance de la décision de l’élu en charge de gouverner, rend la démocratie compatible avec l’efficacité de la décision. On considère généralement que l’intention première du Général de Gaulle lorsqu’il a voulu l’élection du président de la République au suffrage universel, clef de voûte de la cinquième République, était précisément de renforcer le pouvoir de décision et la responsabilité politique, fragilisés par l’instabilité des gouvernements dans les régimes parlementaires de la troisième République et de la quatrième République.

L’évaluation par la réitération de l’élection. Le principal souci des constitutions démocratiques, illustré à la perfection par la constitution américaine, est d’empêcher au moyen de la séparation des pouvoirs qu’un homme puisse confisquer le pouvoir en vue d’imposer sa volonté au peuple. Le populisme est la tentation de la démocratie illibérale, qui consiste à associer le suffrage universel. Un chef d’Etat peut être élu et n’avoir de comptes à rendre à personne. La Russie de Vladimir Poutine illustre cette possibilité : il y a bien démocratie (élection au suffrage universel), en un sens représentative (le chef de l’Etat est un représentant « indépendant » qui décide au nom du peuple), mais le pouvoir est confisqué. La contre-partie de l’indépendance des gouvernants dans la démocratie représentative est l’obligation qui leur est faite de remettre leur mandat en jeu à échéances régulières dans des conditions de loyauté garanties par la constitution. La force d’une constitution démocratique, comme l’illustre l’épisode Trump aux Etats-Unis, est de conserver le contrôle sur les gouvernant et de pouvoir les contraindre à quitter le pouvoir.