DS du vendredi 6 octobre

Le devoir sera noté sur 4o et comprendra quatre parties. La première partie est notée sur 12 points ; la deuxième sur 10 points; la troisième sur 8 points et la quatrième sur 10 points. Pour la première partie, ainsi que pour la troisième, les questions sont connues à l’avance. Vous pouvez donc préparer vos réponses mais il faudra les garder en mémoire, car vous n’aurez droit à aucun document. Pour ce qui est de la deuxième partie, le thème est connu (liberté d’expression et vérité), mais pas la question, une question de réflexion à laquelle il faudra répondre sous la forme d’un parti-pris argumenté. La quatrième partie est relative à la lecture du Gorgias : vous découvrirez les questions le jour de l’épreuve.

Première partie (12 points)

Lire de texte de Gérald Bronner et se préparer à répondre aux quatre questions ci-dessous.

Répondez à l’aide du texte à ces quatre questions :

1 – Quel privilège les habituels « diseurs de vérité », journalistes ou experts, ont-ils perdu ? Quelle est la cause de cette transformation ?

2 – Quels sont les phénomènes qui montrent que la facilité et l’égalité d’accès à l’information sur Internet ne favorisent pas nécessairement le progrès de la rationalité et la diffusion universelle de la connaissance ?

3 – « La vérité peut se débrouiller toute seule » : quel est le sens de cette affirmation ? Pourquoi cette formule fut elle reprise et érigée en slogan par les militants de l’usage de l’Internet à ses débuts ?

4- Comment s’expliquent la multiplication des fausses informations et l’efficacité de leur diffusion dans la société actuelle ?

Deuxième partie (10 points)

Une question sur les rapports entre liberté d’expression et vérité. Une réponse argumentée en 10 ou 15 lignes sera exigée. Préparation : outre le texte de Bronner, prendre connaissance des arguments en faveur de la liberté de communication hérités des Lumières.

Troisième partie (8 points)

Faut-il une loi pour protéger la vérité scientifique contre le climatoscepticisme ? Présentez le problème et Justifiez votre réponse en vous servant des éléments ci-dessous (10 à 15 lignes)

Le projet

Une association de journalistes, QuotaClimat, et un groupe de réflexion, l’Institut Rousseau ont conçu le projet d’une loi susceptible de protéger la vérité scientifique du traitement de la question climatique par les médias et les réseaux sociaux. L’objectif est de réformer l’ARCOM (l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et du numérique), l’organisme qui veille à l’application du droit dans les médias et sur internet. Le projet comprend 9 articles, dont celui-ci (article 3), qui vise à confier à l’ARCOM le soin de veiller à la protection de la vérité scientifique : « l’Autorité de régulation […] veille, notamment, auprès des éditeurs de services de communication audiovisuelle, […] à ce que la programmation reflète le consensus scientifique, en particulier la nature anthropique du dérèglement climatique » Un autre article exige des médias qu’ils consacrent 20% des débats à la question du changement climatique durant les périodes électorales. Ce projet intéresse un groupe de députés qui réfléchit actuellement à l’éventualité et aux modalités de sa mise en œuvre.

L’objection

Même s’il n’est pas question de censure mais de lutte contre la désinformation, la perspective d’une mise sous tutelle de la liberté d’expression au nom de la vérité et de l’intérêt général peut inquiéter. Le sociologue Laurent Cordonier, directeur de la fondation Descartes sur l’information et le débat public, n’est pas favorable, pour sa part, à une loi : « Même si la liberté de la presse n’est pas illimitée, notamment dans la loi de 1881, il faut être très prudent quand on y touche. Je ne suis ainsi pas sûr qu’il soit judicieux d’imposer à des médias un quota de temps à accorder à un sujet ou à un angle dans la façon de le traiter. » Légiférer sur cette question est d’autant moins nécessaire, selon lui, que «les médias sont en train de monter en compétence sur le sujet, avec une forme d’autorégulation de la profession qui va plutôt dans le bon sens». Considérant par ailleurs que les climatosceptiques sont également adeptes, souvent, du complotisme, «adopter une loi qui serait interprétée comme imposant une ligne aux médias ne ferait que nourrir ce sentiment».

Qu’est-ce que le climatoscepticisme ?

L’expression « climatoscepticisme » désigne les argumentations pseudo-scientifiques, servant certains intérêts économiques ou politiques, qui contestent le consensus scientifique sur la thèse selon laquelle le changement climatique est d’origine humaine.

Voici comment un article récent du journal Le Monde (Le climatoscepticisme, anatomie d’une mauvaise foi, 29 mai 2023) présente le discours dit « climatosceptique » :

« Démonter l’argumentaire climatosceptique s’apparente ainsi à un travail de Sisyphe. Il répond à la loi de Brandolini, bien connue des observateurs du monde de la désinformation, selon laquelle prouver l’absurdité d’un baratin se révèle bien plus coûteux en temps et en énergie que de le produire. Il suffit de quelques secondes d’ignorance satisfaite pour écrire qu’en 2023 il aurait neigé pour la première fois en Arabie saoudite, contrairement aux prédictions alarmistes sur le réchauffement climatique, comme se sont empressés de s’y employer de nombreux contempteurs de la science. Mais il faut se retrousser les manches et creuser l’histoire météorologique de la péninsule Arabique pour comprendre que les épisodes neigeux sont loin d’y être rares dans son Nord montagneux, et que leur fréquence croissante n’est peut-être pas sans lien avec le dérèglement des courants d’air polaire.

Mais ce serait tomber dans le piège de la rhétorique climatosceptique que de se contenter d’en éplucher les arguments un à un pour en montrer les imprécisions, les non-sens et les inepties. Il faut revenir à l’image d’ensemble, et souligner ce qui signe de manière bien plus caractéristique sa malhonnêteté : ses démonstrations sont totalement incompatibles entre elles. Le tableau n’est pas sans rappeler l’histoire du chaudron, sophisme immortalisé par Sigmund Freud : accusé d’avoir rendu un chaudron troué à son propriétaire, un homme dément le lui avoir emprunté, argue qu’il était de toute façon déjà troué, et soutient qu’il l’a rendu intact. « Chacune des objections prise séparément est bonne pour elle-même mais, mises ensemble, elles s’excluent mutuellement », relève le fondateur de la psychanalyse dans L’Interprétation des rêves.

Il en va du même du discours climatosceptique. Un pourfendeur du consensus scientifique peut défendre à la fois l’idée qu’il n’y a pas de réchauffement climatique, que celui-ci s’est interrompu en 1998, qu’il n’a rien d’anormal à l’échelle de la planète, et que les activités humaines n’en sont pas la cause, autant d’arguments qui s’excluent les uns les autres. Or, ce sont les mêmes personnes et, sur les réseaux sociaux, les mêmes comptes qui diffusent indifféremment ces mêmes messages – parfois dans la même journée. Sauf que, à la différence du sophisme cité par Freud, la rhétorique antiscientifique ne tient ni du trait d’esprit ni de la logique onirique. Elle signe au contraire une démarche très consciente, consistant à miner le consensus scientifique par tous les moyens possibles. C’est du moins l’une des hypothèses qui s’imposent naturellement. Aujourd’hui, certains acteurs cachés derrière des pseudonymes débitent des propos dont la sophistication et la mauvaise foi suggèrent une campagne organisée de désinformation. (…) Autre piste d’explication, guère incompatible, des arguments conçus à des époques différentes se sont agrégés. Le discours climatosceptique des années 1980 tendait à nier la réalité du dérèglement climatique ; aujourd’hui, face à l’indéniable, il cherche plutôt à contester son origine anthropique, autrement dit liée à l’activité humaine. Au lieu de s’être succédé, ces différents arguments continuent de circuler aujourd’hui en parallèle, comme autant de strates d’enfumage.

Enfin, le public climatosceptique a changé : comme l’a montré, fin avril, une étude de la Fondation Jean Jaurès, il ne s’agit plus d’experts en marge mais de citoyens imprégnés de défiance, complotistes, antivax et poutinolâtres. Or, le conspirationnisme s’accommode fort bien des discours contradictoires. Ainsi que l’a mesuré une étude de 2012, ceux qui croient que Lady Di a été assassinée sont les mêmes que ceux qui pensent qu’elle est encore vivante. Dans sa dystopie, la pensée complotiste accorde plus de crédit à deux contre-discours antithétiques qu’à une supposée vérité officielle. Le climat est aujourd’hui la victime collatérale de ce confusionnisme-là : dans un monde où, par principe, le consensus scientifique serait un mensonge, il devient tragiquement héroïque d’affirmer tout et son contraire. »

Quatrième partie (10 points)

Questions sur les 40 premières pages du Gorgias (Platon): lire de la page 121 à la page 164 (édition GF-Flammarion).

Semaines 18-29 septembre

La notion de vérité exprime deux idées: l’idée d’adéquation de la pensée ou du discours au réel sur lequel porte la pensée ou le discours; l’idée de cohérence (non-contradiction) de la pensée ou du discours. On voit que la notion de vérité, comme celle d’erreur, s’applique à la pensée et/ou au discours (oral ou écrit). L’idéal de vérité naît avec le langage qui exprime la pensée. Il n’y a d’erreur ou de vérité que dans les jugements, énoncés par des propositions, qui affirment ou nient quelque chose sur quelque sujet que ce soit.

Les sujets sur la vérité porte généralement sur le notion de vérité-adéquation. Cette notion d’adéquation vient de la formulation en latin, par Thomas d’Aquin (env. 1225-1274) de l’idée de vérité: « Veritas est adaequatio rei et intellectus (La vérité est l’adéquation de la chose et de l’intellect). » La vérité qualifie l’idée, conçue par l’esprit, qui est en adéquation avec la « chose » qu’elle exprime. Cette idée de vérité est mobilisée pour évoquer l’erreur et la vérité dans les sciences, le système d’information ou l’enquête policière, dans toutes les circonstances où le discours à pour but de décrire ou d’expliquer ce qui est, c’est-à-dire la réalité, ou un aspect de la réalité.

La cohérence logique est un critère de vérité plus général : il s’impose à tous les discours, scientifiques, mathématiques, théologiques, philosophiques, etc. la contradiction, l’erreur logique, a pour effet d’invalider le discours quel qu’il soit, qu’il ait ou non la réalité du monde pour objet. Une démonstration mathématique, par exemple, est un enchaînement de propositions cohérent; elle est vraie parce que cohérente, mais elle ne vise pas à décrire ou à expliquer une réalité. Un discours qui décrit ou explique la réalité doit être vrai dans les deux sens : une théorie scientifique doit, pour être vraie, à la fois être cohérente et correspondre à la réalité. Une proposition ou une théorie peut cependant être cohérente (ne pas être fausse d’un point de vue logique) sans que cela constitue pour autant une preuve de sa vérité au sens de la vérité-adéquation. Dans le domaine de la métaphysique, philosophie ou théologie, il est ainsi possible d’argumenter sans preuve, c’est-à-dire de chercher la cohérence, sans être en mesure de pouvoir prouver l’adéquation à la réalité. La cohérence de la théologie (le discours rationnel sur Dieu), par exemple, ne constitue pas une preuve de l’existence de Dieu. Les deux critères doivent être distingués. La proposition selon laquelle Dieu, l’être parfait par définition, est nécessairement infiniment bon, est une proposition cohérente, vraie parce que cohérente, que Dieu existe ou non. Cette cohérence ne constitue cependant pas en elle-même une preuve qu’il existe réellement un être parfait infiniment bon.

Définitions :

Jugement : acte de la pensée; le jugement est la décision de l’esprit qui consiste, après examen, à affirmer ou à nier quelque chose sur un sujet donné.

Proposition : énoncé de discours (oral ou écrit) qui exprime un jugement.

Vérité-adéquation : l’accord de la connaissance avec son objet; adéquation de l’idée avec la chose; la proposition ou la théorie (ensemble cohérent de propositions) qui correspond à la réalité telle qu’elle est. Ces trois formulations possibles de la même idée de vérité sont correctes.

Vérité-cohérence : l’association sans contradiction, dans une proposition ou un enchaînement de propositions, de deux ou plusieurs idées. La vérité est en ce sens se confond avec le respect du « principe de contradiction » qui formule l’exigence logique de non-contradiction.

Les deux problématiques

Les sujets relatifs à la notion de vérité explorent deux grandes problématiques, correspondant l’une à la question du « comment », l’autre à celle du « pourquoi » (au sens du « en vue de quoi »). Nombre de sujets se rattachent au problème de la méthode, de la preuve, du critère permettant de distinguer erreur et vérité. La question à laquelle il s’agit de répondre est celle-ci : comment découvrir, produire ou reconnaître la vérité, et la distinguer de l’erreur ou de l’illusion ? Ce questionnement relève de la théorie de la connaissance et se rattache au premier domaine de la philosophie (défini par la question « Que puis-je connaître ? »).

Les sujets relatifs à la notion de vérité peuvent également avoir pour objet une réflexion sur la finalité de la recherche de la vérité et sur l’aptitude de l’homme à vouloir la vérité. Ce questionnement , qui interroge notre rapport à la vérité, présuppose la possibilité de l’indifférence à l’égard de la vérité, du déni de la vérité, de la volonté du subordonner l’intérêt pour la vérité à d’autres intérêts. Aux raisons de préférer l’erreur ou l’illusion à la vérité on peut opposer les raisons de valoriser et de vouloir la vérité. L’enjeu est la justification de l’idéal de la vérité. La vérité est un idéal dans la mesure où l’intérêt pour la vérité apparaît comme un un intérêt paradoxal, un intérêt désintéressé susceptible d’entrer en conflit avec d’autres intérêts, notamment sur le terrain politique. La question à laquelle il s’agit de répondre est donc celle-ci : pourquoi vouloir la vérité ? pourquoi faire de la vérité une valeur, un idéal ? Ce questionnement se rattache aux deuxième et au troisième domaines de la philosophie (définis par les questions « Que dois-je faire ? » et « Que m’est-il permis d’espérer ? »).

Il existe notamment un problème moral de la vérité, qui ne concerne pas exclusivement la question du mensonge. Tout le monde désire ne pas être trompé par autrui; mais peut-on affirmer que tout le monde désire ne pas se tromper ? L’erreur, a priori, est involontaire : on se trompe en cherchant la vérité et croyant l’avoir trouvée. Le mensonge, à l’inverse, est volontaire : le mensonge consiste à travestir la vérité pour tromper délibérément autrui, ce qui n’est pas incompatible avec la volonté de vérité, la volonté de ne pas se tromper soi-même. Un sujet sur le mensonge, la question « Faut-il toujours dire la vérité ? », par exemple, concerne le domaine de la morale, c’est-à-dire le domaine des devoirs de l’homme. La question du mensonge porte cependant, au premier abord du moins, sur le devoir envers autrui : a-t-on pour devoir de ne pas tromper autrui ? Entre l’erreur et le mensonge, se trouve une zone grise, constituée par l’indifférence à l’égard de la vérité et par la tentation de préférer l’erreur à la vérité. Du fait de la présence en l’homme de cette indifférence et de cette tentation se pose la question du devoir de vérité comme devoir envers soi-même.

Définitions :

L’erreur : le jugement qui consiste à prendre l’apparence de la vérité pour la vérité elle-même.

L’illusion : l’erreur persistante fondée sur une disposition permanente. Exemples : l’illusion d’optique, qui s’explique par notre faculté optique naturelle; l’illusion qui consiste à prendre ses désirs pour des réalités et qui dure autant que dure le désir.

Le mensonge : le discours contraire à la réalité, tenu dans le dessein de tromper.

La mauvaise foi : l’attitude qui, selon qu’elle est plus ou moins consciente, consiste soit à ne pas admettre devant autrui une vérité que l’on reconnaît, soit à se mentir à soi-même.

La véracité : qualité de celui qui dit la vérité ; l’attachement constant à la vérité.

Le devoir (l’obligation morale) : le devoir est le sentiment de respect pour une loi morale (une loi dictée par la conscience) qui, lorsqu’il contrarie le désir, oblige la volonté. Le devoir est un phénomène de la conscience. Le sentiment du devoir est un sentiment de contrainte intérieure. En ce sens, l’obligation se distingue de la contrainte, qui consiste à subir la pression d’une force extérieure. Agir par devoir consiste à s’obliger être contraint. S’obliger consiste à opposer la volonté au désir, lorsque celui-ci entre en contradiction avec le devoir.

Texte et Pascal

Le texte illustre la problématique des rapports entre morale et vérité. Il se rattache également à la question de l’homme (« Qu’est-ce que l’homme ? »).

La conclusion du texte de Pascal est l’expression d’un impératif, d’une règle, c’est-à-dire d’un devoir : « Travaillons donc à bien penser ! Voilà le principe de la morale ». Le premier devoir de l’homme est de faire un bon usage de sa faculté de penser, d’être lucide, de chercher la vérité pour vivre dans la vérité.

L’argument à l’appui de cette thèse est que la pensée fait la valeur de l’homme : « Toute notre dignité consiste donc en la pensée ». Cette affirmation est elle-même fondée sur l’idée selon laquelle la pensée est le propre de l’homme dans l’univers. En tant qu’il occupe une portion de l’espace et du temps, l’homme est un être naturel parmi les autres dans l’immense univers, un corps vivant mortel, une faible force matérielle. Mais dans l’univers connu, l’homme est le seul être doté de la conscience de soi (« il sait qu’il meurt ») et du pouvoir de connaître l’univers et ses lois. Il est le seul être à pouvoir connaître son insignifiance, sa faiblesse, la relativité de sa propre condition dans l’univers. La pensée ainsi définie se distingue de la simple intelligence animale (perception et adaptation à l’environnement en vue de la survie). L’homme est le seul être double, à la fois corps et esprit, ce qu’exprime la métaphore du « roseau pensant » : corps faible et périssable, simple partie d’un Tout, il est supérieur par l’esprit au Tout dont son existence dépend; par l’esprit ou par la pensée, c’est-à-dire par la conscience de soi et la faculté de connaître.

Définition :

La dignité : la valeur absolue, objet de respect inconditionnel, qu’il ne faut sacrifier à aucun intérêt.

18-29 septembre

Qu’est ce que la vérité ?

La notion de vérité exprime deux idées: l’idée d’adéquation de la pensée ou du discours au réel sur lequel porte la pensée ou le discours; l’idée de cohérence (non-contradiction) de la pensée ou du discours. On voit que la notion de vérité, comme celle d’erreur, s’applique à la pensée et/ou au discours (oral ou écrit). L’idéal de vérité naît avec le langage qui exprime la pensée. Il n’y a d’erreur ou de vérité que dans les jugements, énoncés par des propositions, qui affirment ou nient quelque chose sur quelque sujet que ce soit.

Les sujets sur la vérité porte généralement sur le notion de vérité-adéquation. Cette notion d’adéquation vient de la formulation en latin, par Thomas d’Aquin (env. 1225-1274) de l’idée de vérité: « Veritas est adaequatio rei et intellectus (La vérité est l’adéquation de la chose et de l’intellect). » La vérité qualifie l’idée, conçue par l’esprit, qui est en adéquation avec la « chose » qu’elle exprime. Cette idée de vérité est mobilisée pour évoquer l’erreur et la vérité dans les sciences, le système d’information ou l’enquête policière, dans toutes les circonstances où le discours à pour but de décrire ou d’expliquer ce qui est, c’est-à-dire la réalité, ou un aspect de la réalité.

La cohérence logique est un critère de vérité plus général : il s’impose à tous les discours, scientifiques, mathématiques, théologiques, philosophiques, etc. la contradiction, l’erreur logique, a pour effet d’invalider le discours quel qu’il soit, qu’il ait ou non la réalité du monde pour objet. Une démonstration mathématique, par exemple, est un enchaînement de propositions cohérent; elle est vraie parce que cohérente, mais elle ne vise pas à décrire ou à expliquer une réalité. Un discours qui décrit ou explique la réalité doit être vrai dans les deux sens : une théorie scientifique doit, pour être vraie, à la fois être cohérente et correspondre à la réalité. Une proposition ou une théorie peut cependant être cohérente (ne pas être fausse d’un point de vue logique) sans que cela constitue pour autant une preuve de sa vérité au sens de la vérité-adéquation. Dans le domaine de la métaphysique, philosophie ou théologie, il est ainsi possible d’argumenter sans preuve, c’est-à-dire de chercher la cohérence, sans être en mesure de pouvoir prouver l’adéquation à la réalité. La cohérence de la théologie (le discours rationnel sur Dieu), par exemple, ne constitue pas une preuve de l’existence de Dieu. Les deux critères doivent être distingués. La proposition selon laquelle Dieu, l’être parfait par définition, est nécessairement infiniment bon, est une proposition cohérente, vraie parce que cohérente, que Dieu existe ou non. Cette cohérence ne constitue cependant pas en elle-même une preuve qu’il existe réellement un être parfait infiniment bon.

Définitions :

Jugement : acte de la pensée; le jugement est la décision de l’esprit qui consiste, après examen, à affirmer ou à nier quelque chose sur un sujet donné.

Proposition : énoncé de discours (oral ou écrit) qui exprime un jugement.

Vérité-adéquation : l’accord de la connaissance avec son objet; adéquation de l’idée avec la chose; la proposition ou la théorie (ensemble cohérent de propositions) qui correspond à la réalité telle qu’elle est. Ces trois formulations possibles de la même idée de vérité sont correctes.

Vérité-cohérence : l’association sans contradiction, dans une proposition ou un enchaînement de propositions, de deux ou plusieurs idées. La vérité est en ce sens se confond avec le respect du « principe de contradiction » qui formule l’exigence logique de non-contradiction.

Les deux problématiques

Les sujets relatifs à la notion de vérité explorent deux grandes problématiques, correspondant l’une à la question du « comment », l’autre à celle du « pourquoi » (au sens du « en vue de quoi »). Nombre de sujets se rattachent au problème de la méthode, de la preuve, du critère permettant de distinguer erreur et vérité. La question à laquelle il s’agit de répondre est celle-ci : comment découvrir, produire ou reconnaître la vérité, et la distinguer de l’erreur ou de l’illusion ? Ce questionnement relève de la théorie de la connaissance et se rattache au premier domaine de la philosophie (défini par la question « Que puis-je connaître ? »).

Les sujets relatifs à la notion de vérité peuvent également avoir pour objet une réflexion sur la finalité de la recherche de la vérité et sur l’aptitude de l’homme à vouloir la vérité. Ce questionnement , qui interroge notre rapport à la vérité, présuppose la possibilité de l’indifférence à l’égard de la vérité, du déni de la vérité, de la volonté du subordonner l’intérêt pour la vérité à d’autres intérêts. Aux raisons de préférer l’erreur ou l’illusion à la vérité on peut opposer les raisons de valoriser et de vouloir la vérité. L’enjeu est la justification de l’idéal de la vérité. La vérité est un idéal dans la mesure où l’intérêt pour la vérité apparaît comme un un intérêt paradoxal, un intérêt désintéressé susceptible d’entrer en conflit avec d’autres intérêts, notamment sur le terrain politique. La question à laquelle il s’agit de répondre est donc celle-ci : pourquoi vouloir la vérité ? pourquoi faire de la vérité une valeur, un idéal ? Ce questionnement se rattache aux deuxième et au troisième domaines de la philosophie (définis par les questions « Que dois-je faire ? » et « Que m’est-il permis d’espérer ? »).

Il existe notamment un problème moral de la vérité, qui ne concerne pas exclusivement la question du mensonge. Tout le monde désire ne pas être trompé par autrui; mais peut-on affirmer que tout le monde désire ne pas se tromper ? L’erreur, a priori, est involontaire : on se trompe en cherchant la vérité et croyant l’avoir trouvée. Le mensonge, à l’inverse, est volontaire : le mensonge consiste à travestir la vérité pour tromper délibérément autrui, ce qui n’est pas incompatible avec la volonté de vérité, la volonté de ne pas se tromper soi-même. Un sujet sur le mensonge, la question « Faut-il toujours dire la vérité ? », par exemple, concerne le domaine de la morale, c’est-à-dire le domaine des devoirs de l’homme. La question du mensonge porte cependant, au premier abord du moins, sur le devoir envers autrui : a-t-on pour devoir de ne pas tromper autrui ? Entre l’erreur et le mensonge, se trouve une zone grise, constituée par l’indifférence à l’égard de la vérité et par la tentation de préférer l’erreur à la vérité. Du fait de la présence en l’homme de cette indifférence et de cette tentation se pose la question du devoir de vérité comme devoir envers soi-même.

Définitions :

L’erreur : le jugement qui consiste à prendre l’apparence de la vérité pour la vérité elle-même.

L’illusion : l’erreur persistante fondée sur une disposition permanente. Exemples : l’illusion d’optique, qui s’explique par notre faculté optique naturelle; l’illusion qui consiste à prendre ses désirs pour des réalités et qui dure autant que dure le désir.

Le mensonge : le discours contraire à la réalité, tenu dans le dessein de tromper.

La mauvaise foi : l’attitude qui, selon qu’elle est plus ou moins consciente, consiste soit à ne pas admettre devant autrui une vérité que l’on reconnaît, soit à se mentir à soi-même.

La véracité : qualité de celui qui dit la vérité ; l’attachement constant à la vérité.

Le devoir (l’obligation morale) : le devoir est le sentiment de respect pour une loi morale (une loi dictée par la conscience) qui, lorsqu’il contrarie le désir, oblige la volonté. Le devoir est un phénomène de la conscience. Le sentiment du devoir est un sentiment de contrainte intérieure. En ce sens, l’obligation se distingue de la contrainte, qui consiste à subir la pression d’une force extérieure. Agir par devoir consiste à s’obliger être contraint. S’obliger consiste à opposer la volonté au désir, lorsque celui-ci entre en contradiction avec le devoir.

Textes et Pascal et de Kant

Les deux textes illustrent la problématique des rapports entre morale et vérité. L’un et l’autre se rattachent également à la question de l’homme (« Qu’est-ce que l’homme ? »).

Texte de Pascal

La conclusion du texte de Pascal est l’expression d’un impératif, d’une règle, c’est-à-dire d’un devoir : « Travaillons donc à bien penser ! Voilà le principe de la morale ». Le premier devoir de l’homme est de faire un bon usage de sa faculté de penser, d’être lucide, de chercher la vérité pour vivre dans la vérité. L’argument à l’appui de cette thèse est que la pensée fait la valeur de l’homme : « Toute notre dignité consiste donc en la pensée ». Cette affirmation est elle-même fondée sur l’idée selon laquelle la pensée est le propre de l’homme dans l’univers. En tant qu’il occupe une portion de l’espace et du temps, l’homme est un être naturel parmi les autres dans l’immense univers, un corps vivant mortel, une faible force matérielle. Mais dans l’univers connu, l’homme est le seul être doté de la conscience de soi (« il sait qu’il meurt ») et du pouvoir de connaître l’univers et ses lois. Il est le seul être à pouvoir connaître son insignifiance, sa faiblesse, la relativité de sa propre condition dans l’univers. La pensée ainsi définie se distingue de la simple intelligence animale (perception et adaptation à l’environnement en vue de la survie). L’homme est le seul être double, à la fois corps et esprit, ce qu’exprime la métaphore du « roseau pensant » : corps faible et périssable, simple partie d’un Tout, il est supérieur par l’esprit au Tout dont son existence dépend; par l’esprit ou par la pensée, c’est-à-dire par la conscience de soi et la faculté de connaître.

Texte de Kant

Dans la première phrase du texte, Kant définit l’appellation par laquelle les philosophes du 18e siècle caractérisaient leur siècle et sa place dans l’Histoire : « Les lumières se définissent comme la sortie de l’homme de l’état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. » Ce qui signifie que le siècle des Lumières est ainsi nommé parce qu’il a vu se diffuser l’esprit critique permettant à l’homme de se libérer des préjugés. Sans l’esprit critique, l’humanité est comme l’enfance, condamnée à penser sous l’influence d’une autorité.

La minorité, au sens juridique, est l’irresponsabilité associée à l’incapacité de se servir de sa raison sans être guidée par la raison d’autrui. C’est pourquoi le mineur a besoin d’un tuteur, l’adulte apte à penser à sa place et qui pourra être responsable pour lui. L’enfant n’est toutefois pas responsable de sa minorité. L’homme adulte, apte à penser par lui-même, qui renonce à user de sa faculté de penser, doit en revanche être tenu pour responsasable de l’état de minorité dans lequel il se maintient volontairement.

La référence aux « lumières » que l’on oppose à l’obscurantisme de l’ignorance et de la superstition a donc avant tout, selon Kant, une signification morale. Les lumières se définissent par un impératif qui exprime, comme dans le texte de Pascal, le premier devoir de l’homme : il faut penser par soi-même ! « Sapere aude ! [Ose être sage !] Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des lumières. » L’esprit critique et la faculté de penser par soi-même ne sont pas donnés à l’homme, lequel commence sa vie dans les préjugés, sous l’influence des adultes qui autour de lui pensent à sa place. On retrouve dans le texte de Kant l’idée qu’il faut travailler à bien penser, mais cette idée est associée à l’exigence de liberté. Pour vouloir la vérité, le savoir et la sagesse, il faut vouloir se libérer des préjugés, s’émanciper des autorités qui maintiennent l’esprit des hommes sous tutelle.

Si penser est un devoir, c’est qu’il existe en l’homme deux dispositions qui le conduise à préférer l’état de minorité, la soumission à une autorité qui dispense du travail de la pensée : la paresse et la lâcheté. la paresse intellectuelle est le goût du moindre effort dans le domaine de l’esprit. Penser est une activité, une activité pénible, car il faut consentir au doute et à la recherche nécessaire à la production du jugement qui permet d’en sortir. Il est plus confortable de s’en remettre au jugement d’autrui, dans tous les domaines. La lâcheté consiste à céder à la peur de la liberté. Tous les pouvoirs ont intérêt à agiter cette peur de la liberté, justifiant leur autorité par leur souci du bonheur des gouvernés, à l’image de la bienveillance du père de famille à l’égard de ses enfants, voire à celle du bon berger qui guide le troupeau.

Le paternalisme du pouvoir fait ainsi écho à l’état de minorité de celui qui consent à être guidé par la volonté et la raison d’autrui. Contre le paternalisme, le libéralisme des lumières conçoit le projet d’une éducation de la liberté par la liberté : comme l’apprentisage de la marche, l’apprentissage de la pensée, qui est comme la marche une faculté naturelle, suppose la liberté et l’acceptation d’une part de risque. Au prix de quelques chutes et de quelques erreurs, il est possible d’apprendre par soi-même, de se cultiver, de progresser dans tous les domaines de la pensée et de l’action.

Définitions :

La dignité : la valeur absolue, objet de respect inconditionnel, qu’il ne faut sacrifier à aucun intérêt.

L’entendement : synonyme de « la raison », la faculté de penser ou de connaître.

Le préjugé : l’idée reçue d’un autre (d’une autorité). Les préjugés sont les croyances dogmatiques, c’est-à-dire les opinions que les hommes reçoivent de confiance et sans les discuter.

L’autorité (l’autorité intellectuelle) : le pouvoir d’influence (pouvoir spirituel), qui repose sur la confiance et qui consiste dans le pouvoir d’influencer les esprits sans recourir à la force. Exemple : l’autorité du parent sur l’enfant. L’autorité est souvent associée au pouvoir mais s’en distingue. Le pouvoir est pouvoir de contraindre et appelle l’obéissance; l’autorité est l’exercice d’un pouvoir d’influence qui repose sur la confiance de celui qui est influencé. Le modèle de l’autorité est précisément l’autorité du parent à l’égard de l’enfant, lequel pense sous influence parce qu’il place spontanément sa confiance dans le jugement de ses parents.

11 – 15 septembre

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Les dix-sept notions du programme : La vérité, la raison, le langage, la science, la religion, la conscience, l’inconscient, la liberté, le bonheur, le devoir, la justice, L’État, la nature, le travail, la technique, l’art, le temps.

Sujets du bac 2023
Présentation de la philosophie

La philosophie naît au 4e siècle avant l’ère chrétienne (400-300 avant J.C.) à Athènes. La date qui sert de référence est celle du procès et de la mort de Socrate, en 399, au début de ce quatrième siècle. Le terme « philosophie » est inventé par Platon (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.) à partir de deux mots, « philia », qui signifie amour, et « sophia », qui signifie à la fois savoir et sagesse. Le philosophe est l’ami du savoir et de la sagesse. Pour concevoir l’idée du philosophe, Platon prend pour modèle son maître Socrate. Dans son premier texte, Apologie de Socrate, Platon décrit la manière dont Socrate se présente au cours de son procès. Socrate se dépeint lui-même comme le plus sage des Athéniens pour une seule raison : tandis que les autres ont en commun de croire savoir quelque chose, lui sait qu’il ne sait rien. Socrate est un professeur de doute qui invite chacun à mettre en question ses croyances. Le philosophe n’est pas le savant ou le sage, celui qui possède savoir ou sagesse, il est celui qui met en doute les croyances (croire savoir, croire être juste) afin de chercher le savoir et la sagesse. Ou pour le dire autrement : le premier savoir du philosophe est le savoir du non-savoir qui rend la recherche nécessaire. La philosophie désigne donc au départ non une doctrine mais une méthode, celle de Socrate, qui associe doute, questionnement et dialectique (débat contradictoire).

Pour définir les objets ou les domaines de la philosophie, la meilleure référence est le philosophe Emmanuel Kant (1724-1804), un philosophe allemand considéré comme le philosophe le plus important du siècle des Lumières, le 18e siècle, baptisé aussi « le siècle des philosophes ». La philosophie antique distinguait trois parties de la philosophie, la logique, la physique et l’éthique. Kant donne une présentation légèrement différente, sous forme de questions (ce qui rappelle que la philosophie commence toujours par le questionnement). Cette présentation correspond à la pratique moderne de la philosophie.

Quatre questions définissent la philosophie. Une question récapitule toutes les autres : Qu’est-ce que l’homme ? La philosophie est une anthropologie, une étude de l’homme (en grec ancien, « anthropos » signifie « homme »). Kant exclut donc la physique (l’étude de la nature) de la philosophie, qu’il distingue de la science. Néanmoins cette question générale ne suffit pas à définir la philosophie: les sciences aussi (naturelles et humaines) étudient l’homme. Les trois questions qui précisent la manière dont la philosophie étudie l’homme sont les suivantes :

1 – Que puis-je connaître (ou savoir) ?

Ce domaine est celui de la théorie de la connaissance, que l’on étudiera en mobilisant les notions de vérité, raison, science, langage. L’enjeu (ce qui fait l’intérêt de la question) est la définition des critères de la distinction entre le vrai et le faux, l’erreur et la vérité. L’objet de la connaissance philosophique n’est pas l’objet de la connaissance (la réalité) mais le sujet de la connaissance (la raison, c’est-à-dire l’esprit qui, armé d’une méthode qu’il définit lui-même, produit la connaissance).

Ce questionnement se fonde sur la prise de conscience du fait que chacun, parce qu’il possède la raison (la faculté de penser), est responsable de l’usage qu’il en fait. Chacun est responsable de la vérité et de l’erreur dans ses propres jugements. La conscience de cette responsabilité justifie l’intérêt pour la méthode qui permet de produire et de reconnaître la vérité ainsi que la réflexion sur les grandes sources d’erreur. L’examen du pouvoir de connaître conduit également à s’interroger sur les limites de ce pouvoir : dans quelle mesure et/ou dans quels domaines est-il possible d’atteindre la vérité (de distinguer entre erreur et vérité) ?

2 – Que dois-je faire ?

Ce domaine est celui de la morale (éthique) et de la politique, que nous étudierons en mobilisant les notions de devoir, justice, État. Le débat relatif au libre-arbitre, considéré comme la condition de possibilité de la responsabilité morale (de la représentation des devoirs), mobilise les notions de conscience et d’inconscient. Le libre-arbitre est en effet le pouvoir de décision de la conscience dont l’existence peut être mise en doute par le dévoilement d’un moteur inconscient de la pensée et de l’action.

La question « Que dois-je faire ? » contient deux verbes, « devoir » et « faire » : l’objet de la morale est de définir le Bien (ce qu’on doit faire) et le Mal (ce qu’on ne doit pas faire). La philosophie morale confronte les théories morales qui définissent les critères de la distinction du Bien et du Mal permettant de régler l’action (la conduite) et de porter des jugements sur la valeur morale des actions et des hommes. Le devoir est l’obéissance à une loi. Il existe deux sources de lois dictant à l’homme ce qu’il doit faire ou ne doit pas faire : la conscience et l’État (la communauté). La notion de justice s’applique à la personne comme à l’État. On appelle morale ou éthique, les lois morales informelles qui règlent le rapport à soi ou les relations interpersonnelles. Le droit désigne les lois écrites qui définissent le juste et l’injuste dans l’État et que le pouvoir des juges (la Justice) doit faire appliquer. La philosophie politique confronte les théories de la justice qui définissent les critères de la distinction entre le juste et l’injuste permettant de définir l’idéal du droit auquel l’État doit se soumettre pour être juste.

La question de la Technique, c’est-à-dire le problème de la valeur morale et politique de la transformation de la nature par l’homme, entre dans le cadre du domaine de la philosophie morale et politique. L’écologie politique, par exemple, pose la question des devoirs de l’homme envers la nature (ou elle des droits de la nature).

3 – Que m’est-il permis d’espérer ?

Ce le domaine est celui de la sagesse et de la spiritualité, que l’on étudiera en partant de la notion de bonheur. Selon la philosophie en tant qu’elle est amour de la sagesse, tout homme désire être heureux, ce qui signifie qu’il cherche le souverain bien, le bien qui n’est pas un simple moyen pour un autre bien mais une fin en soi. Pourquoi vouloir être heureux ? Pour être heureux, pour vivre une vie qui vaille la peine d’être vécu. Tous les autres objectifs dans la vie, tous les biens que l’on veut posséder, à commencer par l’argent, sont des moyens pour le bonheur. Le bonheur est l’objet de tout désir, et tout désir est espérance de bonheur.

Nul besoin de philosopher pour éprouver des désirs et concevoir des projets qui donnent sens à la vie. La philosophie pose toutefois une question inquiétante, à laquelle on ne pense heureusement pas tous les jours : pourquoi vivre, sachant qu’on est mortel ? La conscience de la possibilité de la mort est ce qui fait apparaître le projet de tout être vivant, survivre, perpétuer la vie, comme étant absurde. L’être humain, conscient de la brièveté de la vie, ne veut pas seulement survivre, il veut que la vie ait un sens. Derrière la question du bonheur, se cache celle de la valeur et du sens de la vie.

La question de l’espérance mobilise la notion de temps. Elle engage le rapport à l’avenir, puisque c’est de l’avenir que nous attendons la réalisation de nos désirs, de nos projets, de notre idéal. L’espérance fait cependant naître un doute : espérer, n’est-ce pas désirer sans jouir ? Les deux principaux courants de la philosophie de la sagesse, l’épicurisme et le stoïcisme, défendent l’idée qu’il n’y a de bonheur qu’au présent, puisque seul le présent existe, le passé étant ce qui n’est plus et l’avenir ce qui n’est pas encore. La réflexion sur la mort conduit par ailleurs à concevoir la distinction entre le temps, où tout est éphémère, et l’éternité : cette distinction est mobilisée par la religion, bien sûr, mais aussi par la philosophie.

La philosophie de la sagesse est une réflexion sur l’espérance qui a pour objet de définir les critères de la distinction entre les désirs qui ont du sens et les désirs absurdes (vains, dérisoires et illusoires). L’un des grands clivages sur la question de l’espérance est l’opposition entre immanence et transcendance : faut-il contenir l’espérance dans les limites de la vie ici-bas ou au contraire dépasser ces limites ? Ce que la religion appelle « le salut » – l’espérance de pouvoir se sauver de la mort par la foi en gagnant l’éternité du Royaume de Dieu – est l’équivalent de ce que la philosophie antique a baptisé « sagesse ». Toutes les réponses à la question de l’espérance qui écartent la croyance en l’au-delà sont les philosophies qui cherchent une conception du sens et de la valeur de la vie immanente à l’ici-bas, c’est-à-dire à la vie elle-même. Pour le croyant, le désir d’éternité est celui qui a le plus de sens; pour l’athée, il est absurde car illusoire.

Deux autres notions se rattachent à cette question du sens de la vie : le travail et l’art. Le travail représente une part importante de l’existence. Que faut-il valoriser, le temps du travail ou celui du loisir (le temps libéré du travail) ? Le débat sur le travail porte sur le sens de la vie. L’art fait également partie des réponses à la question du sens de la vie. Ce qu’on pourrait illustrer par la célèbre formule de Nietzsche : « Sans la musique la vie est simplement une erreur, une torture, un exil« . La question fondamentale à propos de l’art est celle-ci : à quoi sert l’art, étant entendu qu’il ne sert à rien, c’est-à-dire qu’il n’est pas utile à la vie, qu’il ne vise pas à satisfaire des besoins vitaux ? Les réponses à cette question se situent nécessairement sur le terrain de la spiritualité, y compris si on répond simplement que l’art sert à divertir. Car le divertissement est par définition ce qui fait diversion : se divertir consiste à faire quelque chose de sa vie quand on n’a rien à faire; se divertir permet de combler le vide, de « tromper l’ennui », de donner du sens et de la valeur à la vie en l’absence de désir et de projet.

Remarques

1 – Toutes les questions abordées durant l’année, toutes les questions de dissertation se rapportent nécessairement d’une manière ou d’une autre à l’un de ces trois questionnements. Le premier travail à faire le jour de l’épreuve est donc d’identifier à quelle grande question de la philosophie rattacher chacun des trois sujets proposés.

2 – Dans ces trois domaines de la pensée philosophique, il existe plusieurs grandes argumentations possibles permettant de justifier des réponses cohérentes et convaincantes, mais il n’existe pas l’équivalent de la preuve scientifique, la preuve qui élimine toutes les réponses possibles à l’exception d’une seule. Philosopher, c’est donc argumenter sans preuve. La « vérité » exigée est la cohérence : la critique philosophique consiste à pointer une incohérence (une contradiction) dans une argumentation.

3 – Certaines notions du programme (la religion, la liberté) seront mobilisées dans chacun des trois domaines de la philosophie. Une religion se définit par une Vérité (les vérités de la foi établies à partir de la Parole de Dieu par exemple), une Loi (la Loi de de Dieu, qui dans le monothéisme définit le Bien et le Mal), une espérance (une doctrine du salut ou de la sagesse). La notion de liberté est polysémique, ce qui signifie que son sens varie selon les problèmatiques dans lesquelles elle apparaît.

4 – Depuis l’origine de son histoire, la philosophie mobilise la notion de nature humaine. Comme on le verra, les réponses apportées à chacune de ces grandes questions sont indissociables d’une certaine conception de l’homme. Concevoir l’homme comme créature de Dieu à l’image de Dieu ou bien comme simple corps vivant (animal parmi d’autres animaux), par exemple, n’est pas sans conséquences sur le contenu des réponses apportées.

L’étude de l’homme est d’ailleurs un problème pour la théorie de la connaissance. Peut-on connaître l’homme ? Pourquoi des « sciences humaines » sont-elles nécessaires à l’étude de l’homme ? Pourquoi la science de la nature ne suffit-elle pas ? La réflexion philosophique contemporaine sur la nature humaine doit tenir compte des données scientifiques, lesquelles font apparaître sous un jour nouveau une question posée depuis le commencement de l’histoire de la philosophie : comment s’articulent en l’homme nature et culture, ce qui est produit par la nature (l’inné, de donné biologique) et ce qui est produit par l’histoire (l’acquis de la civilisation transmis par l’éducation) ? Cette question, en apparence purement théorique, interfère avec les questions morales et politiques, ce qu’illustre, par exemple, le débat contemporain sur le « genre ».

Semaine 11-15 septembre

Présentation du cours
Feuille de route

Programme

Les sept notions du programme : la vérité; la liberté; la justice; la religion; la nature; l’art; la technique.

Sujets du baccalauréat 2023

à retenir

Méthodologie. Un sujet de dissertation se présente sous la forme d’une question qui formule un problème. Un problème est une question à laquelle il n’y a pas une seule réponse possible. Construire une « problématique » consiste à présenter un problème, c’est-à-dire à expliquer pourquoi il n’y a pas une seule réponse possible à la question posée. On peut par exemple partir de la réponse qui nous paraît, à tort ou à raison, la plus évidente, pour ensuite introduire un argument qui justifie le doute à l’égard de cette évidence, ce qui justifie l’organisation d’un débat confrontant les points de vue.

Présentation de la philosophie

La philosophie naît au 4e siècle avant l’ère chrétienne (400-300 avant J.C.) à Athènes. La date qui sert de référence est celle du procès et de la mort de Socrate, en 399, au début de ce quatrième siècle. Le terme « philosophie » est inventé par Platon (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.) à partir de deux mots, « philia », qui signifie amour, et « sophia », qui signifie à la fois savoir et sagesse. Le philosophe est l’ami du savoir et de la sagesse. Pour concevoir l’idée du philosophe, Platon prend pour modèle son maître Socrate. Dans son premier texte, Apologie de Socrate, Platon décrit la manière dont Socrate se présente au cours de son procès. Socrate se dépeint lui-même comme le plus sage des Athéniens pour une seule raison : tandis que les autres ont en commun de croire savoir quelque chose, lui sait qu’il ne sait rien. Socrate est un professeur de doute qui invite chacun à mettre en question ses croyances. Le philosophe n’est pas le savant ou le sage, celui qui possède savoir ou sagesse, il est celui qui met en doute les croyances (croire savoir, croire être juste) afin de chercher le savoir et la sagesse. Ou pour le dire autrement : le premier savoir du philosophe est le savoir du non-savoir qui rend la recherche nécessaire. La philosophie désigne donc au départ non une doctrine mais une méthode, celle de Socrate, qui associe doute, questionnement et dialectique (débat contradictoire).

Pour définir les objets ou les domaines de la philosophie, la meilleure référence est le philosophe Emmanuel Kant (1724-1804), un philosophe allemand considéré comme le philosophe le plus important du siècle des Lumières, le 18e siècle, baptisé aussi « le siècle des philosophes ». La philosophie antique distinguait trois parties de la philosophie, la logique, la physique et l’éthique. Kant donne une présentation légèrement différente, sous forme de questions (ce qui rappelle que la philosophie commence toujours par le questionnement). Cette présentation correspond à la pratique moderne de la philosophie.

Quatre questions définissent la philosophie. Une question récapitule toutes les autres : Qu’est-ce que l’homme ? La philosophie est une anthropologie, une étude de l’homme (en grec ancien, « anthropos » signifie « homme »). Kant exclut donc la physique (l’étude de la nature) de la philosophie, qu’il distingue de la science. Néanmoins cette question générale ne suffit pas à définir la philosophie: les sciences aussi (naturelles et humaines) étudient l’homme. Les trois questions qui précisent la manière dont la philosophie étudie l’homme sont les suivantes :

1 – Que puis-je connaître (ou savoir) ?

C’est le domaine de la théorie de la connaissance, que l’on étudiera en partant de la notion de vérité. L’enjeu (ce qui fait l’intérêt de la question) est la définition des critères de la distinction entre le vrai et le faux, l’erreur et la vérité. L’objet de la connaissance philosophique n’est pas l’objet de la connaissance (la réalité) mais le sujet de la connaissance (la raison, c’est-à-dire l’esprit qui, armé d’une méthode qu’il définit lui-même, produit la connaissance).

Ce questionnement se fonde sur la prise de conscience du fait que chacun, parce qu’il possède la raison (la faculté de penser), est responsable de l’usage qu’il en fait. Chacun est responsable de la vérité et de l’erreur dans ses propres jugements. La conscience de cette responsabilité justifie l’intérêt pour la méthode qui permet de produire et de reconnaître la vérité ainsi que la réflexion sur les grandes sources d’erreur. L’examen du pouvoir de connaître conduit également à s’interroger sur les limites de ce pouvoir : dans quelle mesure et/ou dans quels domaines est-il possible d’atteindre la vérité (de distinguer entre erreur et vérité) ?

2 – Que dois-je faire ?

C’est le domaine de la morale (éthique) et de la politique, que nous étudierons en partant de la notion de justice. La question contient deux verbes, « devoir » et « faire » : l’objet de la morale est de définir le Bien (ce qu’on doit faire) et le Mal (ce qu’on ne doit pas faire). La philosophie morale confronte les théories morales qui définissent les critères de la distinction du Bien et du Mal permettant de régler l’action (la conduite) et de porter des jugements sur la valeur morale des actions et des hommes. Le devoir est l’obéissance à une loi. Il existe deux sources de lois dictant à l’homme ce qu’il doit faire ou ne doit pas faire : la conscience et l’État (la communauté). La notion de justice s’applique à la personne comme à l’État. On appelle morale ou éthique, les lois morales informelles qui règlent le rapport à soi ou les relations interpersonnelles. Le droit désigne les lois écrites qui définissent le juste et l’injuste dans l’État et que le pouvoir des juges (la Justice) doit faire appliquer. La philosophie politique confronte les théories de la justice qui définissent les critères de la distinction entre le juste et l’injuste permettant de définir l’idéal du droit auquel l’État doit se soumettre pour être juste.

La question de la Technique, c’est-à-dire le problème de la valeur morale et politique de la transformation de la nature par l’homme, entre dans le cadre du domaine de la philosophie morale et politique. L’écologie politique, par exemple, pose la question des devoirs de l’homme envers la nature (ou elle des droits de la nature).

3 – Que m’est-il permis d’espérer ?

C’est le domaine de la sagesse et de la spiritualité, que l’on étudiera en s’appuyant sur la notion de liberté. Il serait préférable de partir de la notion de bonheur, comme le faisait la philosophie antique. La notion de liberté a cependant plusieurs sens, dont celui que lui donnait les Anciens, la liberté du sage, la sérénité de l’homme dont le désir est satisfait. Selon la philosophie en tant qu’elle est amour de la sagesse, tout homme désire être heureux, ce qui signifie qu’il cherche le souverain bien, le bien qui n’est pas un simple moyen pour un autre bien mais une fin en soi. Pourquoi vouloir être heureux ? Pour être heureux, pour vivre une vie qui vaille la peine d’être vécu. Tous les autres objectifs dans la vie, tous les biens que l’on veut posséder, à commencer par l’argent, sont des moyens pour le bonheur. Le bonheur est l’objet de tout désir, et tout désir est espérance de bonheur.

Nul besoin de philosopher pour éprouver des désirs et concevoir des projets qui donnent sens à la vie. La philosophie pose toutefois une question inquiétante, à laquelle on ne pense heureusement pas tous les jours : pourquoi vivre, sachant qu’on est mortel ? La conscience de la possibilité de la mort est ce qui fait apparaître le projet de tout être vivant, survivre, perpétuer la vie, comme étant absurde. L’être humain, conscient de la brièveté de la vie, ne veut pas seulement survivre, il veut que la vie ait un sens. Derrière la question du bonheur, se cache celle de la valeur et du sens de la vie.

La philosophie de la sagesse est une réflexion sur l’espérance qui a pour objet de définir les critères de la distinction entre les désirs qui ont du sens et les désirs absurdes (vains, dérisoires et illusoires). L’un des grands clivages sur la question de l’espérance est l’opposition entre immanence et transcendance : faut-il contenir l’espérance dans les limites de la vie ici-bas ou au contraire dépasser ces limites ? Ce que la religion appelle « le salut » – l’espérance de pouvoir se sauver de la mort par la foi en gagnant l’éternité du Royaume de Dieu – est l’équivalent de ce que la philosophie antique a baptisé « sagesse ». Toutes les réponses à la question de l’espérance qui écartent la croyance en l’au-delà sont les philosophies qui cherchent une conception du sens et de la valeur de la vie immanente à l’ici-bas, c’est-à-dire à la vie elle-même. Pour le croyant, le désir d’éternité est celui qui a le plus de sens; pour l’athée, il est absurde car illusoire.

L’art fait partie des réponses à la question du sens de la vie. Ce qu’on pourrait illustrer par la célèbre formule de Nietzsche : « Sans la musique la vie est simplement une erreur, une torture, un exil« . La question fondamentale à propos de l’art est celle-ci : à quoi sert l’art, étant entendu qu’il ne sert à rien, c’est-à-dire qu’il n’est pas utile à la vie, qu’il ne vise pas à satisfaire des besoins vitaux ? Les réponses à cette question se situent nécessairement sur le terrain de la spiritualité, y compris si on répond simplement que l’art sert à divertir. Car le divertissement est par définition ce qui fait diversion : se divertir consiste à faire quelque chose de sa vie quand on n’a rien à faire; se divertir permet de combler le vide, de « tromper l’ennui », de donner du sens et de la valeur à la vie en l’absence de désir et de projet.

Remarques

1 – Toutes les questions abordées durant l’année, toutes les questions de dissertation se rapportent nécessairement d’une manière ou d’une autre à l’un de ces trois questionnements. Le premier travail à faire le jour de l’épreuve est donc d’identifier à quelle grande question de la philosophie rattacher chacun des trois sujets proposés.

2 – Dans ces trois domaines de la pensée philosophique, il existe plusieurs grandes argumentations possibles permettant de justifier des réponses cohérentes et convaincantes, mais il n’existe pas l’équivalent de la preuve scientifique, la preuve qui élimine toutes les réponses possibles à l’exception d’une seule. Philosopher, c’est donc argumenter sans preuve. La « vérité » exigée est la cohérence : la critique philosophique consiste à pointer une incohérence (une contradiction) dans une argumentation.

3 – Certaines notions du programme (la religion, la liberté) seront mobilisées dans chacun des trois domaines de la philosophie. Une religion se définit par une Vérité (les vérités de la foi établies à partir de la Parole de Dieu par exemple), une Loi (la Loi de de Dieu, qui dans le monothéisme définit le Bien et le Mal), une espérance (une doctrine du salut ou de la sagesse). La notion de liberté est polysémique, ce qui signifie que son sens varie selon les problèmatiques dans lesquelles elle apparaît.

4 – Depuis l’origine de son histoire, la philosophie mobilise la notion de nature humaine. Comme on le verra, les réponses apportées à chacune de ces grandes questions sont indissociables d’une certaine conception de l’homme. Concevoir l’homme comme créature de Dieu à l’image de Dieu ou bien comme simple corps vivant (animal parmi d’autres animaux), par exemple, n’est pas sans conséquences sur le contenu des réponses apportées.

L’étude de l’homme est d’ailleurs un problème pour la théorie de la connaissance. Peut-on connaître l’homme ? Pourquoi des « sciences humaines » sont-elles nécessaires à l’étude de l’homme ? Pourquoi la science de la nature ne suffit-elle pas ? La réflexion philosophique contemporaine sur la nature humaine doit tenir compte des données scientifiques, lesquelles font apparaître sous un jour nouveau une question posée depuis le commencement de l’histoire de la philosophie : comment s’articulent en l’homme nature et culture, ce qui est produit par la nature (l’inné, de donné biologique) et ce qui est produit par l’histoire (l’acquis de la civilisation transmis par l’éducation) ? Cette question, en apparence purement théorique, interfère avec les questions morales et politiques, ce qu’illustre, par exemple, le débat contemporain sur le « genre ».