SARTRE – L’existentialisme est un humanisme

Contexte et sens de l’oeuvre

Il s’agit du texte d’une conférence donnée par Sartre en 1945. Sartre y présente sa philosophie, qu’il nomme « l’existentialisme ». A l’époque, celle de la Libération, après la guerre, Sartre est une star du monde de la culture. Il existe une mode existentialiste, à laquelle adhère une partie de la jeunesse. Sartre veut montrer que l’existentialisme est plus qu’une mode. Il explique que l’existentialisme est un humanisme, mais pas dans le sens banal du mot. Au sens ordinaire, « l’humanisme » désigne la pensée qui fait de l’homme une valeur supérieure et le but de toutes les actions. L’humanisme philosophique de Sartre est la théorie qui affirme que la subjectivité humaine, la conscience, est la seule source des valeurs. A la fin du texte on peut lire : « il n’y a pas pour l’homme d’autre législateur que lui-même ». Ce qui veut dire que l’homme ne reçoit sa loi ni de Dieu, ni de la nature, ni de la société. La conscience ne reçoit sa loi d’aucune force extérieure à elle-même. Cela veut dire aussi que l’homme doit toujours se penser comme l’auteur de sa vie, de son destin, des valeurs qui guident sa vie. L’existentialisme est une philosophie de la liberté, une philosophie qui définit l’homme par la liberté.

Sartre distingue l’existentialisme des deux grandes forces intellectuelles dominantes en France au milieu du 20e siècle, le christianisme et le marxisme (le communisme, qui se réfère à la pensée de Karl Marx). Il répond aux critiques des chrétiens et des communistes, qui reprochent à l’existentialisme d’être une pensée individualiste. Pour les croyants, il y a des valeurs supérieures, qui viennent de Dieu et auxquelles l’individu doit obéir. Pour les communistes, il y a une cause supérieure à l’individu, le Révolution qui doit libérer la société de l’exploitation de l’homme par l’homme. Sartre répond que la subjectivité est indépassable mais que la philosophie qui fait de la subjectivité la source des valeurs est aussi une philosophie de l’engagement et de l’action, une philosophie morale et politique.

Les textes
Texte 1 (Que signifie « l’essence précède l’existence » ?)

Dans ce texte, Sartre présente la conception de l’homme qu’il veut critiquer. Il critique à la fois l’idée selon laquelle l’homme est une créature de Dieu et l’idée de nature humaine, selon laquelle l’homme se définit par sa nature. Les deux idées signifient qu’il existe une « essence » de l’homme, c’est-à-dire une définition de son identité qui détermine par avance son destin, sa vie et le sens de sa vie. Cela revient pour Sartre à nier la liberté humaine. Sartre définit l’existentialisme à partir d’une formule étrange, « l’existence précède l’essence », qui est dit-il la formule de la liberté humaine. Si on inverse les termes, « l’essence précède l’existence », on a au contraire la formule du déterminisme, la formule de la négation de la liberté humaine.

Pourquoi ? C’est ce que veut expliquer Sartre en partant de l’exemple du coupe-papier. Un « coupe-papier », comme n’importe quel objet technique, a une fonction précise, déterminé à l’avance par l’artisan qui l’a conçu. Sa définition (son « essence ») précède son existence, et son existence est déterminée (à exercer sa fonction de coupe-papier). Sartre fait une analogie : si Dieu existe, l’homme est dans son rapport à Dieu comme le coupe-papier par rapport à l’artisan; il y a une Providence, un plan de Dieu, ce qui signifie que l’existence de chaque individu, sa fonction dans le plan divin, est parfaitement déterminée à l’avance et de toute éternité. Il n’y a pas de place pour la liberté : pour l’homme aussi, « l’essence » (la définition, l’idée conçue par Dieu, le grand artisan) précède l’existence. Ce qui veut dire qu’il y a un destin, sur lequel la liberté humaine n’a en réalité pas de prise.

Mais si on conçoit l’homme comme un simple être naturel, et non pas comme une créature de Dieu, on ne se débarasse pas forcément de l’idée selon laquelle pour l’homme « l’essence précède l’existence ». S’il y a une nature humaine, celle-ci définit par avance l’identité et le destin des humains, de sorte qu’ils n’ont pas le pouvoir de faire leur histoire. Sartre critique donc aussi le naturalisme, qui est aussi une manière de nier la liberté humaine. La compagne de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, a formulé d’une des idées les plus importantes du féminisme et appliquant cette critique du naturalisme à la condition féminine. Elle a écrit : « On ne naît pas femme, on le devient ». La formule signifie que la nature ne détermine pas l’identité et le destin des femmes. Le sexe est biologique, on naît mâle ou femelle, mais la nature biologique ne détermine pas la condition des femmes. le « genre », l’identité de l’homme et de la femme, est le produit de l’histoire et de l’éducation, c’est-à-dire le produit de ce que l’humanité fait d’elle-même, non le produit de la nature.

Dans ce texte, Sartre répond à une critique qui est faite à l’existentialisme, auquel on reproche d’être un individualisme. Sartre dit au contraire que l’existentialisme conçoit l’homme comme un être totalement libre, donc totalement responsable. Dire que l’homme est libre, c’est dire que « l’homme est responsable de ce qu’il est ». C’est le contraire du déterminisme, pour lequel le responsable de ce qu’est et de ce que devient l’homme, ce n’est pas l’homme lui-même, mais Dieu, la nature ou la société.

Texte 2 (Liberté et responsabilité morale)

L’existentialisme affirme que pour l’homme, « l’existence précède l’essence », ce qui veut dire que l’homme, parce qu’il est une subjectivité, une conscience qui a le pouvoir de dire « je », possède un pouvoir de se définir lui-même. Sartre affirme que « la subjectivité est indépassable », ce qui veut dire qu’il ne peut rien y avoir dans la conscience qui vienne de l’extérieur de la conscience. Les valeurs, le sens de la vie sont des produits de la subjectivité. C’est ce que Sartre appelle le subjectivisme, qui signifie « impossibilité pour l’homme de dépasser la subjectivité humaine ». En ce sens, l’existentialisme est un subjectivisme. Cela implique que pour l’existentialisme de Sartre, il ne peut pas y avoir de transcendance des valeurs, une source des valeurs, Dieu par exemple, qui soit extérieure à la subjectivité humaine.

Une caricature de l’existentialisme est possible, dit Sartre : elle consisterait à confondre deux sens de « subjectivisme ». Car subjectivisme peut aussi signifier individualisme, souci exclusif de soi. Si l’existentialisme nie l’existence de la transcendance des valeurs en affirmant le caractère indépassable de la subjectivité, s’il affirme que l’homme est responsable de ce qu’il est en tant qu’il a le pouvoir de se définir lui-même, est-il compatible avec le désintéressement, c’est-à-dire avec un engagement pour les autres et pas simplement pour soi ?

C’est l’idée que Sartre défend ici : affirmer que l’homme choisit les valeurs, au lieu que les valeurs s’imposent à lui, c’est affirmer la responsabilité de l’individu pour l’humanité entière et pas simplement pour lui-même. En choisissant pour soi, on choisit pour l’humanité. En choisissant pour soi, on choisit une image de ce que devrait être l’homme, on crée un idéal, une conception du bien. Sartre écrit : « Choisir d’être ceci ou cela, c’est affirmer en même temps la valeur de ce que nous choisissons ». Par chacun de nos actes, nous engageons l’humanité entière. Si je fais le choix du mariage, par exemple, je fais de la monogamie (l’exclusivité et la fidélité d’une union) une valeur et « j’engage non seulement moi-même mais l’humanité tout entière » dans cette voie.

Ainsi l’existentialisme, en définissant l’homme par la liberté, une liberté radicale qui va jusqu’à la liberté de créer les valeurs, justifie l’idée d’une responsabilité morale totale, pour soi-même et pour tous. Sartre conclue ainsi sa réponse à l’accusation d’individualisme en soulignant le lien entre responsabilité pour soi et responsabilité pour l’humanité : « En me choisissant, je choisis l’homme. »

Texte 3 (« L’homme est condamné à être libre »)

Dans ce texte, Sartre souligne les deux implications (conséquences logiques) qu’il faut tirer de l’idée selon laquelle pour l’homme, « l’existence précède l’essence ». D’une part, « l’homme est sans excuse », précisément parce qu’il se définit par son pouvoir de se définir, son pouvoir de faire son histoire, d’écrire sa destinée. D’autre part, il n’y a pas de valeurs transcendantes et objectives, indépendantes de la subjectivité et auxquelles la subjectivité pourrait s’accrocher pour se laisser guider. Il n’y a rien qui puisse nous permettre d’échapper à la responsabilité de définir notre identité, notre avenir et le sens de notre vie, rien, aucune force, qui nous pousse malgré nous et rien ni personne qui nous aide : « nous sommes seuls, sans excuses ». Ce qui revient à dire que « nous l’homme est condamné à être libre ». Condamné, parce qu’il ne peut pas choisir de ne pas exister; libre, parce que dès lors qu’il existe, l’homme, en tant qu’il est une conscience, ne peut plus échapper à sa responsabilité, à la responsabilité pour soi-même et pour l’humanité. Sartre conclue : « L’homme, sans aucun appui et sans aucun secours, est condamné à chaque instant à inventer l’homme »

Le texte entremêle les deux idées : l’idée de l’absence de guide et celle de l’absence de déterminisme. La première idée présentée est celle de l’absence du Dieu qui pourrait sortir l’homme de son angoissante solitude pour lui fournir les valeurs susceptibles de guider et de justifier sa conduite. Sartre part de la formule de l’écrivain russe Dostoïevsky : « Si Dieu n’existait pas, tout serait permis ». Dostoïevsky veut dire que l’homme serait voué à une conduite anarchique et immorale sans la présence de Dieu qui, par ses commandements, fournit des repères à son existence. Sartre prend l’absence de Dieu comme point de départ, puisque l’idée selon laquelle pour l’homme, « l’existence précède l’essence » signifie que l’homme n’est pas la créature de Dieu comme le coupe-papier est la créature de l’artisan qui l’a conçu. Il n’en déduit toutefois pas l’immoralité de l’homme, mais au contraire l’idée que l’homme est condamné à inventer la morale, à faire exister des valeurs sans pouvoir se contenter de les recevoir d’une autorité.

La deuxième idée, celle de l’absence d’excuse que pourrait fournir le dévoilement d’un déterminisme, est illustrée dans la deuxième moitié du texte par l’exemple de la passion. Une passion n’est pas une valeur qui sert de guide mais une force qui pousse à agir sans qu’on puisse lui résister. Ce qui fait qu’on peut dire « c’est plus fort que moi ». Une passion, écrit Sartre, est « un torrent dévastateur qui conduit fatalement l’homme à certains actes, et qui, par conséquent, est une excuse. » Or l’existentialisme refuse d’admettre ce déterminisme de la passion, ce qui serait une négation de la liberté humaine qui définit l’homme. Sartre écrit : « L’homme est responsable de sa passion ». Il est sans excuse parce qu’il est responsable de ce qui en lui est plus fort que lui et le pousse à agir. L’homme est sans excuse parce qu’il n’y a pas de déterminisme, parce que la conscience fait de lui un être responsable de ce qu’il fait des forces qui le traverse, de sa nature et de l’éducation qu’il a reçu.

Texte 4 (L’art et la morale)

Dans ce texte, Sartre compare l’art et la morale. Selon la morale traditionnelle, la morale est tout le contraire de l’art : l’art est créateur alors que la morale est conformiste. Mais selon l’existentialisme de Sartre, le choix moral doit se concevoir comme la construction de l’oeuvre d’art. Ce qui signifie que la valeur ne préexiste pas à l’acte qu’elle permet de juger moral ou immoral, mais que c’est l’acte qui crée la valeur, la conception du bien et du mal.

L’artiste est un créateur. La valeur d’une oeuvre d’art n’existe pas avant la création par l’artiste. En matière esthétique, il n’y a pas de valeurs a priori. Ce sont les artistes, par leurs créations, qui créent la valeur esthétique, dont on ne peut pas avoir l’idée avant l’apparition de l’oeuvre. Selon la conception traditionnelle de la morale, à l’inverse, la valeur morale préexiste à l’acte moral. Ce n’est pas le fait de respecter autrui qui fait du respect d’autrui une valeur, mais c’est parce que le respect d’autrui est en soi et a priori une valeur que l’on s’efforce de respecter autrui. L’acte moral n’est donc pas créatif. Il n’est pas un acte de création mais au contraire une manière de conformer sa conduite à une valeur admise par tous. Dans le langage de l’existentialisme, cela signifie que le domaine de la morale est un domaine dans lequel « l’essence précède l’existence ». Ce qui veut dire que les valeurs sont prédéfinies, qu’elles existent avant moi, indépendamment de moi et que je suis destiné à accorder mon existence sur ces valeurs prédéfinies.

Sartre conteste cette conception traditionnelle de la morale. Selon l’existentialisme, la liberté humaine s’applique aussi à la morale. Dire que l’homme est condamné à être libre revient à dire que l’homme, par chacun de ses actes, est condamné à choisir et à inventer l’homme. Dans le domaine de la morale aussi, il faut admettre que « l’existence précède l’essence », ce qui veut dire qu’il n’y a pas de valeurs morales à priori, les commandements de Dieu par exemple, ou les devoirs commandés par la loi de la raison, comme le pense le philosophe Kant, mais que la morale est construite comme l’oeuvre d’art, par l’activité créatrice de l’homme. Sartre conclue : « Ce qu’il y a de commun entre l’art et la morale, c’est que, dans les deux cas, nous avons création et invention. Nous ne pouvons décider a priori de ce qu’il y a à faire. » Sartre illustre dans le livre (pages 40-45) par « l’exemple du jeune homme » cette idée qu’il est impossible de décider a priori de ce qu’il y a à faire.

Texte 5 (La mauvaise foi)

Dans ce texte, Sartre présente la morale existentialiste. La question de la morale est celle du critère du jugement moral. Comment juger qui est bon et qui est méchant, qui est moral et qui est immoral ? Il faut pour cela des critères objectifs, c’est-à-dire des valeurs morales objectives, qui ne dépendent pas de la subjectivité de chacun. Sartre est gêné pour définir une morale, parce qu’il compare l’art et la morale, et qu’il considère que les valeurs morales sont des créations subjectives, qu’elles ont leur source dans les choix et les actes de chacun. L’existentialisme semble ne pas pouvoir éviter le relativisme, l’idée selon laquelle chacun pourrait définir sa morale sans qu’on puisse identifier un critère objectif pour le jugement moral.

Sartre identifie pourtant dans ce texte un critère. Il écrit : « On peut juger un homme en disant qu’il est de mauvaise foi. » Cette idée ne va pas de soi. La mauvaise foi est un mensonge à soi-même. Sartre évoque cependant la mauvaise foi dans un sens particulier. Il appelle « mauvaise foi » le fait de se dissimuler à soi-même sa propre liberté, le fait de nier en soi la liberté qui définit l’homme. Sartre écrit : « tout homme qui se réfugie derrière l’excuse de ses passions, tout homme qui invente un déterminisme est un homme de mauvaise foi. » Autrement dit, c’est la thèse de l’existentialisme sur l’homme qui doit servir de critère objectif du jugement sur les hommes. Le bien, c’est l’authenticté, qui consiste à assumer la liberté qui définit l’homme; le mal, c’est l’inauthenticité, le fait au contraire de ne pas l’assumer. Le croyant qui pense qu’il y a des valeurs morales objectives qui viennent de Dieu, par exemple, est pour Sartre de mauvaise foi. Sartre reconnaît toutefois qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un jugement moral : il s’agit plutôt d’un jugement de vérité, dont le critère est la cohérence.

C’est pourquoi Sartre ajoute un autre critère, qui permet de porter un authentique jugement moral. Si l’homme se définit par la liberté, définie comme le pouvoir qu’a l’homme de se définir, de s’inventer, il n’y a qu’un idéal moral et politique possible : la liberté pour tous les hommes. Sartre conclue en disant que l’homme qui se sait libre ne peut vouloir qu’une chose : « la liberté comme fondement de toutes les valeurs ». Le bien consiste à vouloir la liberté.

Remarque à propos des textes 4 et 5

On peut faire remarquer, en conclusion du commentaire, que Sartre répond de deux manières aux critiques que reprochent à sa philosophie de la liberté de justifier l’individualisme en rejetant l’idée d’une morale objective qui ferait autorité:

Dans sa conférence, Sartre répond donc au problème de la morale de deux manières :

D’une part il assume le subjectivisme ou l’individualisme, en comparant l’art et la morale. Dans l’art, l’homme crée ou invente les valeurs, lesquelles ne préexistent pas à l’oeuvre artistique. De la même manière, il faut considérer qu’en matière de morale, l’homme crée les valeurs par ses choix et ses engagements.

D’autre part, il conçoit la possibilité d’une morale existentialiste « objective », qui permettrait de concevoir des jugements de valeur, c’est-à-dire de juger autrui. C’est le sens de la critique de la « mauvaise foi ». La mauvaise foi consiste à se dissimuler sa liberté, à nier ce qui fait la vérité de la condition humaine, à savoir que « l’homme est condamné à être libre ». Sartre reporte ainsi la critique morale sur ses adversaires : ce sont les croyants et les matérialistes, les chrétiens et les marxistes, qui sont immoraux, en tant qu’ils font la promotion d’un déterminisme qui représente le comble de la mauvaise foi (de la négation de la liberté ou de l’autonomie de la subjectivité).

Les formules à retenir

« L’existence précède l’essence »

C’est la formule du premier principe de l’existentialisme, la formule de la liberté qui caractérise et définit l’être humain. L’essence, c’est la définition. Affirmer que l’existence précède l’essence, c’est dire que « l’homme n’est d’abord rien », que l’homme n’est d’abord rien de défini ou de déterminé quand il entre dans le monde; il devient quelqu’un ou quelque chose à travers son histoire, par ses choix et ses projets, en se projetant vers un avenir. Il existe d’abord et se définit ensuite; il se détermine et se définit par lui-même. Cette formule, selon Sartre, est celle de la liberté humaine. Il n’y a que pour l’homme que « l’existence précède l’essence ». Pour l’homme, il n’y a pas de déterminisme. L’homme se caractérise par l’indétermination (son destin n’est pas écrit d’avance) et par le pouvoir d’auto-détermination (il est maître de sa destinée). Dire que « l’existence précède l’essence », c’est dire que la vie n’a pas de sens a priori et que l’homme est responsable du sens qu’il donne à sa vie.

« Il n’y a pas de nature humaine »

La formule ne signifie pas qu’il n’y a pas de nature biologique. Il y a une nature humaine, au sens biologique, mais il n’y a pas de déterminisme naturel. La thèse de l’existentialisme est proche à cet égard de la conception de l’homme qu’illustre le roman de Vercors « Les animaux dénaturés ». L’homme est un « animal dénaturé » dans la mesure où la nature ne définit pas totalement son être et son destin. Il a le pouvoir de construire son histoire et de se mettre ainsi à distance de la nature et de sa nature. On retrouve cette idée selon laquelle notre nature ne nous définit pas dans la  célèbre formule de Simone de Beauvoir, la compagne et disciple de Sartre, considérée comme la fondatrice du féminisme en France : « On ne naît pas femme, on le devient ». La formule signifie précisément que la condition de la femme (son rôle dans la société, l’identité féminine) n’est pas déterminée par la nature biologique. On naît mâle ou femelle, mais la nature ne détermine pas l’identité et le destin des hommes et des femmes. Le « genre » ne se réduit pas au sexe biologique.

« L’homme est condamné à être libre »

Formule très importante, qui signifie que, puisqu’il n’y a pas de déterminisme, l’homme est défini par son absence de définition (l’essence de l’homme est de ne pas avoir d’essence). L’homme est défini par sa liberté, donc il n’est pas libre de ne pas être libre; il ne peut pas choisir de ne pas choisir. Il est donc radicalement responsable de lui-même et de son devenir. Il est « sans excuse », comme le dit Sartre. Cela signifie aussi que l’homme ne dispose d’aucune ressource extérieure à sa subjectivité ou à sa conscience pour déterminer ses choix ou ses engagemements (comme le pensent les croyants, qui font appel à Dieu pour les secourir ou les soutenir). D’où cette formule de Sartre, qui explicite la précédente : « L’homme, sans aucun appui et sans aucun secours, est condamné à chaque instant à inventer l’homme ».