La notion de liberté est d’usage commun. Sa signification, au premier abord, ne pose aucune difficulté. La liberté est le pouvoir de faire ou de ne pas faire, c’est-à-dire le pouvoir de se déterminer à agir en suivant sa volonté, sans contrainte.
De cette définition simple, on peut cependant déduire plusieurs idées distinctes, donc plusieurs définitions de la liberté de sens différents :
1) La notion de liberté peut désigner la liberté d’action. La liberté d’action est le pouvoir d’agir sans contrainte extérieure. En ce sens, tout corps en mouvement peut être dit « libre », dès lors qu’il n’est pas gêné dans son mouvement par une force extérieure. On peut dire de l’eau de la rivière qu’elle coule librement en l’absence de barrage, de l’oiseau auquel on a ouvert la cage, qu’il s’envole librement, du prisonnier qui sort de prison, qu’il retrouve sa liberté. « La liberté est l’absence de tous les empêchements à l’action qui ne sont pas contenus dans la nature et la qualité intrinsèque de l’agent. » (Thomas Hobbes, De la liberté et de la nécessité, 1646)
2) La notion de liberté peut désigner le libre arbitre. Le libre arbitre est le pouvoir de la volonté de consentir ou de résister à la force du désir. La liberté en ce sens désigne le pouvoir de choisir de faire ou de ne pas faire sans se laisser dicter sa conduite par la contrainte intérieure exercée par une pulsion, une passion ou un intérêt. Ce n’est pas l’action qui est dite libre par rapport à une force extérieure, mais la volonté, qui est dite libre par rapport à la force intérieure du désir. La liberté de la volonté désigne le pouvoir de choisir non tant l’action que le sens de l’action (l’intention).
3) La notion de liberté peut désigner la condition de l’homme libre par opposition à la servitude de l’esclave. Les deux sens de la liberté sont alors réunis. L’esclave est limité dans sa liberté d’action par le pouvoir du maître. Il est réduit au statut d’instrument de la volonté du maître, donc dépossédé de son libre arbitre, de son pouvoir d’exercer sa volonté pour opérer des choix et décider par lui-même du sens de ses actions.
4) Chez les philosophes qui n’admettent pas le libre arbitre, la notion de liberté peut désigner la libre nécessité. [nécessité = ce qui ne peut être autrement, l’affirmation d’un être conformément à sa nature] « Je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret mais dans une libre nécessité. » (Spinoza) La notion prend ici un sens peu ordinaire, proprement philosophique. La liberté ainsi conçue désigne la puissance propre à un être naturel lorsqu’il déploie spontanément (sans contrainte) ses capacités. « Toute chose est dite libre, qui existe par la seule nécessité de sa nature et est déterminée par soi seule à agir. » (Spinoza) L’oiseau vole, c’est une nécessité naturelle, il ne peut faire autrement. Cette capacité de voler est une puissance qui lui est propre. Il est libre en tant qu’il déploie cette puissance, qui peut être limitée de l’extérieur (la force extérieure qui entrave la liberté d’action) mais aussi de l’intérieur (l’immaturité, la maladie, le handicap). La libre nécessité est un pouvoir de faire (d’agir, de créer, etc.) qui s’affirme en même temps que l’être s’épanouit en déployant toutes ses capacités. Dans cette perspective, on peut être plus ou moins libre, le degré de liberté désignant un degré de puissance. La puissance n’est pas nécessairement physique. Si on considère que la puissance propre à l’homme est la raison, on peut en déduire que le sage ou le savant sont plus « libres » que les autres hommes en tant qu’ils font un meilleur usage de leur raison que les autres.
5) La liberté stoïcienne désigne dans la doctrine des Stoïciens, l’une des deux grandes écoles antiques de la sagesse (avec l’épicurisme), la condition que doit remplir le sage pour être invulnérable au malheur. Cette conception de la liberté comme condition de la sagesse et du bonheur n’a rien d’une évidence : « Le bonheur ne consiste pas à acquérir ou à jouir, mais à ne rien désirer, car il consiste à être libre » (Épictète). Le malheur, pour les Stoïciens, naît de la contradiction entre les désirs et la réalité du monde en tant qu’elle est nécessaire [qu’elle ne peut être autre qu’elle n’est]. Lorsque je désire autre chose que ce qui arrive, je suis malheureux. Si au contraire je désire ce qui arrive, même s’il s’agit de la maladie ou de la mort, je ne serais jamais malheureux. La liberté consiste à modifier son désir sous l’effet de l’intelligence de la nécessité (comprendre le monde tel qu’il est) pour atteindre l’amor fati, l’amour du destin. Rousseau présente une version moins radicale de la liberté stoïcienne à travers cette définition : « L’homme vraiment libre ne veut que ce qu’il peut et fait ce qu’il lui plaît. » L’idée est ici que la liberté est un pouvoir de faire, de réaliser ses désirs (faire ce qu’il me plaît) qu’on peut atteindre lorsqu’on règle de manière réaliste son désir sur ses capacités. Si je ne veux que ce que je peux, je peux espérer faire ce que je veux. La liberté, le pouvoir de faire, résulte de la modification et limitation du désir sous l’effet de l’intégration du principe de réalité.
6) Le pouvoir de faire l’histoire ou de faire son histoire. Il s’agit du sens « anthropologique » de la liberté. La liberté en ce sens désigne la perfectibilité ou l’historicité de l’homme. C’est une idée moderne, l’exact opposé de la liberté stoïcienne. La liberté stoïcienne, « l’amour du destin », consiste à vivre en accord avec la nature, en acceptant les limites que notre condition naturelle nous impose. Cette idée de liberté correspond à la conception dominante de la sagesse jusqu’à l’époque moderne. Justifiant et accompagnant les grandes révolutions modernes (révolutions scientifiques, politiques et industrielles), la philosophie moderne a promu l’idée de la liberté humaine entendue comme le pouvoir propre à l’homme de transformer par son activité ses conditions d’existence dans le temps. Si l’homme dispose de la liberté d’écrire son histoire, sa destinée, il n’y a plus à proprement parler de destin. Les limites imposées par la nature peuvent être indéfiniment repoussées. L’histoire construite par les générations passées peut être déconstruite par les générations présentes et à venir (idée de réforme ou de révolution). Si l’homme se reconnaît le pouvoir de devenir ce qu’il a projeté d’être, ni la Nature, ni l’Histoire ne sont plus pour lui un destin. La liberté ainsi conçue est au fondement de l’idée moderne de Progrès, selon laquelle l’humanité peut indéfiniment, par la civilisation, le travail, la science, la technique, l’éducation, améliorer sa condition. « Il est impossible de savoir jusqu’où vont les dispositions naturelles de l’homme » (Emmanuel Kant) « Il n’y a pas de nature humaine« ;« L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait.« (Jean-Paul Sartre)
Certaines notions peuvent être considérées comme des synonymes de la liberté :
L’indépendance, désigne l’absence de dépendance vis-à-vis d’une puissance étrangère à soi. L’indépendance peut désigner l’indépendance de l’action vis-à-vis d’une force extérieure, d’un pouvoir, ou, dans un sens métaphorique et philosophique, l’indépendance de la volonté vis-à-vis de la puissance du désir (de la pulsion, de la passion, etc.).
L’autonomie signifie au sens strict se donner à soi-même sa loi, par opposition à l’hétéronomie, qui signifie que la loi est reçu d’un Autre. La notion d’indépendance s’applique davantage à un pouvoir d’agir en relation à des pouvoirs extérieurs, celle d’autonomie à la volonté. C’est la volonté qui est autonome, en tant qu’elle s’auto-détermine librement. Mais on peut dire que la volonté est autonome, qu’elle s’auto-détermine librement, aussi bien par rapport à la force du désir que par rapport à une volonté extérieure.
La souveraineté de dit aussi de la volonté. La notion de souveraineté désigne le pouvoir de décision. La souveraineté suppose l’indépendance et l’autonomie, mais la notion ajoute l’idée que l’autonomie est absolue parce que la volonté est indépendante de tout pouvoir ou autorité supérieur(e). Est souverain quiconque peut décider par et pour lui-même sans devoir obéir ou rendre des comptes à une autorité supérieure.
Les sujets qui contiennent la notion de liberté requierent la plupart du temps d’utiliser l’une de ses deux principales significations (la liberté d’action ou le libre arbitre). Il convient d’interpréter correctement le sens de l’énoncé du sujet : s’il s’agit d’un sujet politique, il faut partir de la liberté conçue comme liberté d’action. Pour les sujets orientés vers une reflexion qui concerne la subjectivité considérée pour elle-même (la conscience et l’inconscient, le devoir et la responsabilité), il faut à l’inverse partir de liberté au sens du libre arbitre.
Le problème politique : la liberté et l’État
L’État règle les vie sociale et les rapports sociaux, les relations entre les membres de la communauté humaine sur laquelle il exerce son pouvoir. Le problème de la liberté dans l’État est celui de la liberté d’action du citoyen, une liberté menacée par les « forces extérieures » que sont d’une part les autres hommes dans la société, et d’autre part l’État. L’État est le pouvoir supérieur commun qui, parce qu’il est pouvoir, est en mesure de protéger et de détruire la liberté d’action du citoyen, la difficulté tenant au fait qu’il lui faut limiter la liberté pour pouvoir la protéger. La réflexion politique porte sur les rapports de l’État et du citoyen, dont l’enjeu, pour l’individu, est ce qu’on appelle aussi la liberté extérieure, la liberté limitée et protégée par les lois extérieures, celles de l’État, la liberté d’action qu’il est permis d’espérer au sein d’une société, dans les relations avec les autres hommes et les institutions.
Liberté naturelle et liberté civile
La liberté naturelle est la liberté d’action illimitée (ou licence), telle qu’elle existerait dans l’état de nature, sans lois ni État pour les faire respecter. Dans l’état de nature, chaque individu est souverain et n’est soumis à aucune loi extérieure, de sorte, écrit Hobbes, qu’il dispose d’un « droit illimité sur toutes choses« . La liberté naturelle est le droit de faire tout ce qu’on juge nécessaire de faire pour se conserver en vie, assurer la sécurité de sa personne et de ses biens, mettre hors d’état de nuire ses ennemis ou exercer une vengeance à leur encontre. La liberté naturelle n’est limitée que par sa propre puissance d’agir, c’est-à-dire par la réalité des rapports de forces.
La liberté civile est la liberté d’action limitée et réglée par les lois dans l’État. Jusqu’au 19e siècle, la notion de société civile désignait non pas la société par opposition à l’État, mais la communauté politique elle-même, la société en tant qu’elle est sortie de l’état de nature, qu’elle est régie par des lois et soumise au pouvoir de l’État. Le terme civil désigne ce qui est relative à la vie du citoyen dans l’État. La liberté civile est la liberté d’action réelle du citoyen. La liberté d’action qui reste à chacun après que le souverain a défini le permis et l’interdit pour garantir les droits de tous : « La liberté des sujets dépend du silence de la loi . » (Hobbes); « La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent. » (Montesquieu).
Liberté négative et liberté positive (conception libérale et conception républicaine de la liberté)
La liberté négative [au sens grammatical, « ne… pas »] est la revendication du libéralisme au sens strict. La liberté négative est le droit reconnu à l’individu de ne pas être empêché d’agir, ou le moins possible, par les autres et par l’État. Le libéralisme est la doctrine qui défend le droit de l’individu à la liberté. « Il n’y a qu’un seul et unique droit naturel, la liberté. » (Kant) Ce droit est l’affirmation d’une souveraineté de l’individu sur lui-même, le droit à une libre disposition de soi-même. « L’individu est souverain sur lui-même, son propre corps et son propre esprit » (John Stuart Mill). Cette conception individualiste de la liberté politique se traduit par une liste de droits que l’on détailler : liberté d’aller et venir, liberté de travailler, d’entreprendre, de contracter, d’échanger, de posséder, la protection de la vie privée, la liberté de se marier et de divorcer, etc. Sur la base de cette affirmation, le problème politique du libéralisme est l’organisation de la coexistence des libertés au sein d’une communauté, laquelle exige une limite de la liberté fixée par la loi afin que la liberté des uns n’empiète pas sur celle des autres. Il n’y a pas, pour le libéralisme, d’autre justification possible de la limitation de la liberté que la nécessité de garantir la liberté de tous. L’article 4 de la Déclaration de 1789 définit ainsi parfaitement la liberté libérale que doit respecter et protéger la loi : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui« .
La liberté positive désigne le pouvoir reconnu aux citoyens de participer à la vie politique. C’est la conception républicaine de la liberté politique. Les droits qui relèvent de cette liberté positive sont le droit de suffrage (le droit de vote) et celui de communiquer ses opinions (la liberté d’expression). En opposant la liberté des Modernes (la liberté privée de l’individu, ou liberté négative) à celle des Anciens (liberté du citoyens de participer directement aux fonctions politiques), le penseur libéral Benjamin Constant a mis en évidence un trait caractéristique qui distingue les démocraties modernes de la démocratie athénienne : celle-ci était une démocratie directe, le peuple avait un réel pouvoir de participation aux institutions publiques, tandis que nos démocraties sont des démocraties représentatives, dans lesquelles les fonctions politiques sont exercées par des professionnels. Il n’en demeure pas moins que la démocratie représentative est fondée sur la théorie de la souveraineté du peuple, c’est-à-dire sur la théorie selon laquelle la loi doit être l’expression de la volonté générale. Selon cette théorie politique, la liberté politique ne consiste pas dans la liberté-indépendance de l’individu mais dans la liberté-autonomie du citoyen. L’autonomie est la faculté de se donner à soi-même sa loi, de déterminer par soi-même la loi à laquelle on obéit : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. » (Rousseau) Bien entendu, le citoyen est l’auteur des lois en tant que membre du souverain. C’est le peuple qui, selon la conception républicaine de la liberté, est l’auteur des lois : « Le peuple soumis aux lois doit en être l’auteur. » (Rousseau) Néanmoins ce pouvoir de faire la loi, qui dans la théorie républicaine de la loi est la véritable garantie des libertés individuelles « négatives », doit être concrètrement reconnu à chacun des citoyens, ne serait-ce qui sous la forme minimale du consentement donné par le suffrage. « Ma liberté extérieure (juridique) est la faculté de n’obéir à aucune loi extérieure en dehors de celles auxquelles j’ai pu donner mon assentiment » (Kant)
Le problème métaphysique : libre arbitre et déterminisme
La science d’une part, la morale et le droit d’autre part, sont fondés sur deux postulats contradictoires [postulat = ce qu’il faut admettre sans pouvoir le prouver] : le déterminisme et le libre arbitre.
La science est fondée sur le postulat du déterminisme, associé au principe de causalité : rien, dans la nature, n’arrive sans cause naturelle, donc tout est déterminé, tout est explicable. Il n’y a pas d’effet sans cause, qui est elle-même l’effet d’une cause. Tout évènement du monde (ce qui arrive), toute chose dans le monde doivent être considérés comme le produit d’une chaîne causale (ou de la rencontre de plusieurs chaînes causales, ce qui induit les explications « multifactorielles ») et comme s’insérant dans une ou plusieurs chaîne causales (ce qui induit la possibilité des prévisions scientifiques). La raison scientifique postule le déterminisme universel, c’est-à-dire l’absence de mystère dans la nature, de trou noir pour la raison : il peut y avoir des phénomènes inexpliqués, des énigmes, en raison des limites de la connaissance, mais pas de mystères, de phénomènes inexplicables, comme les miracles. « La nature ne fait pas de saut » (Leibniz) La réalité est de part en part déterminée, explicable, sans « trou » dans les chaînes causales. C’est ce postulat du déterminisme qui définit le rationalisme scientifique. « En brisant le déterminisme universel, même en un seul point, on bouleverse toute la conception scientifique du monde. » (Sigmund Freud)
Le libre arbitre est le postulat de la morale et du droit. Le principe de la responsabilité individuelle qui est commun à la morale et au droit présuppose comme sa condition de possibilité d’attribuer a priori à tout être humain la capacité de libre arbitre. La notion de responsabilité désigne en effet l’imputation [imputation = attribution] de l’action à une volonté libre considérée comme la cause de l’action. Pour qu’il soit possible de porter un jugement sur la valeur morale d’une personne ou d’une action (bonté ou méchanceté) et de considérer une personne comme coupable (moralement responsable) d’un délit ou d’un crime, il faut au préalable concevoir l’auteur de l’acte comme un « agent libre » (capable de décider et de choisir en conscience, de s’auto-déterminer librement). Pour qu’il y ait un « sujet de droit » (responsable de ses actes devant la loi), il faut qu’il y ait un « sujet moral » (responsable de ses actes devant sa conscience). On n’intente pas de procès au chien agressif ou à l’automobile qui tombe en panne; leur reprocher leur « méchanceté » n’a aucun sens, parce que le chien et la voiture sont privés de libre arbitre. « Le principe de l’action morale est le libre choix. » (Aristote)
Le déterminisme et le libre arbitre sont des croyances métaphysiques contradictoires. Cette contradiction est la raison d’être de la réflexion et du débat philosophiques sur le problème métaphysique de la liberté. Le libre arbitre est une croyance métaphysique [métaphysique = au-delà de la physique, des phénomènes naturels que la science peut expliquer], puisque la volonté libre se définit comme la cause d’une action qui doit se penser comme n’étant pas l’effet d’une autre cause. Une décision libre, consciente et délibérée, est par définition sa propre cause. Si on postule qu’elle est le produit d’une chaîne causale inconsciente, on lui ôte le caractère de la liberté : reste l’idée d’un déclenchement de l’action aussi peut libre et choisi que peut l’être celui d’une machine. Un robot, un automate, prend en un sens des décisions, mais celles-ci sont programmées, résultent d’un mécanisme. La volonté libre, si elle existe, est un mystère, un « trou » dans le déterminisme universel. « Le libre-arbitre, c’est le pouvoir de se déterminer soi-même sans être déterminé par rien » (Marcel Conche) Le déterminisme universel, l’idée selon laquelle le Tout que constitue la Nature (l’univers) est de part en part déterminé et explicable, est également une croyance métaphysique, puisque qu’il faudrait pour pouvoir prouver sa réalité que la science ait déjà tout expliqué, ce qui impossible en raison des limites spatio-temporelles dans lesquelles l’esprit demeure pris. Le déterminisme universel ne peut exister que du point de vue de Dieu (en tant qu’on le conçoit comme celui qui sait tout), du point de vue de l’omniscience, inaccessible à l’homme.
Il ne faut donc pas s’étonner de voir les philosophes s’opposer radicalement sur la question du libre arbitre. Pour les partisans du déterminisme, la croyance au libre arbitre est irrationnelle : c’est une erreur, une illusion de la conscience due à l’absence de connaissance des causes qui nous font réellement agir. « Il n’y a dans l’âme aucune volonté absolue ou libre; mais l’âme est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause qui est aussi déterminée par une autre, et cette autre l’est à son tour par une autre, et ainsi à l’infini. » (Baruch Spinoza). Parce que nous sommes à la fois conscients et ignorants, nous pensons avoir le pouvoir de choisir, de décider de l’orientation de nos actions et de notre vie mais, en réalité, à chaque moment de notre vie, ce que nous voulons est le produit de chaînes causales, d’un ensemble de déterminations (notre nature, notre passé, le fonctionnement de notre cerveau, l’effet de l’environnement, des interactions, etc.), de sorte que nous ne pouvons pas vouloir autre chose que ce que nous voulons. « Tu peux, il est vrai, faire ce que tu veux; mais à chaque moment déterminé de ton existence, tu ne peux vouloir qu’une chose précise et une seule, à l’exclusion de toute autre. » (Arthur Schopenhauer, Essai sur le libre arbitre, II)
Les partisans du libre arbitre considèrent qu’il est tout aussi irrationnel de ne pas reconnaître la liberté de la volonté, puisque cela impliquerait d’admettre que la morale et le droit sont de pures erreurs. Les notions de droit et de devoir n’auraient aucun sens. Les animaux ont des intérêts, puisqu’ils ont une sensibilité et des besoins : ils cherchent à éviter la souffrance et la mort. Seul l’homme a des droits, parce que la liberté sans laquelle il ne pourrait pas donner du sens et une valeur morale à ses actions et à sa vie est ce qui constitue son humanité, ce qu’on appelle la dignité de la personne humaine. « Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. » « C’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté. » (Rousseau, Contrat social). La moralité de l’homme consiste en effet dans le pouvoir de choisir entre le Bien et le Mal. La conscience morale et la conscience de sa liberté vont ensemble. On ne peut éliminer l’une sans également éliminer l’autre. Kant ajoute l’idée que la conscience morale est une expression de la raison en l’homme. Elle est en un sens un savoir, une connaissance du Bien et du Mal. Un savoir dont se déduit la connaissance de ses obligations, donc de son « pouvoir vouloir ». « La conscience est un savoir qui en lui-même est un devoir. » (Kant) « Tu dois, donc tu peux. » (Kant)