Pour traiter le sujet, il faudra avoir en tête quelques éléments théoriques relatifs aux notions de science et de vérité.
Sur la vérité
La vérité est l’idéal de la connaissance : connaître, c’est prétendre à la vérité dans ses jugements. « L’erreur et la vérité n’existent que dans les jugements« , écrit Kant. L’erreur est l’apparence de la vérité qui se prend pour la vérité elle-même : tout jugement prétend à la vérité, de sorte que l’erreur (hors mauvaise foi et mensonge) est involontaire, puisqu’elle apparaît vrai à l’esprit de celui qui la pense. Le premier problème de la vérité est en conséquence celui des critères permettant de distinguer l’erreur de la vérité, garantissant que notre jugement n’est pas une simple croyance subjective, mais une connaissance susceptible d’être partagée par tous (tous les esprits rationnels).
Le deuxième problème est celui du domaine de la vérité. Prétendre à la vérité a-t-il toujours un sens? On peut en douter : l’idéal de vérité ne s’applique pas à toutes nos pensées. Dans le domaine du goût, par exemple, domaine d’expression de la subjectivité, il n’apparaît pas possible d’affirmer que nos jugements sont « vrais ». Le domaine de la connaissance est a priori le domaine de la connaissance de la réalité extérieure, ce qui est objectivement en soi quoi que nous pensions. La définition la plus ordinaire de la vérité s’applique à la connaissance en tant que la connaissance est connaissance de ce qui est : la vérité est l’accord de la connaissance avec l’objet. Un jugement de réalité est vrai si ce qu’il affirme à propos de la réalité correspond à la réalité telle qu’elle est. Tout jugement est par définition une croyance subjective (croyance d’un esprit particulier) : il n’est une connaissance objective que si l’on peut montrer que si l’idée exprimée par le sujet s’accorde avec la réalité de l’objet. Vérité, en ce sens, signifie objectivité. Rapporter des faits tels qu’ils se sont passés, c’est être objectif, se soumettre à l’idéal de la vérité.
On remarque toutefois que le jugement qui correspond à l’objet, à la réalité en soi, dans la mesure où la réalité est la même pour tous, est de ce fait même un jugement qui vaut pour tous. D’où cette autre définition : la vérité est le jugement universellement valable. Une telle définition permet de concevoir la possibilité d’utiliser la notion de vérité en dehors du domaine de la science, qui est la connaissance de la nature, la connaissance de la réalité. Une vérité mathématique n’est pas moins certaine qu’une vérité scientifique, elle l’est même davantage. Et pourtant elle n’a pas pour objet la réalité extérieure. Affirmer que « 2 et 2 font 4 » revient à affirmer qu’il s’agit d’un jugement universellement valable (un jugement « universalisable », que tous pourraient et devraient accepter). Le jugement est « objectif », non au sens de l’accord avec l’objet, mais dans la mesure où « objectif » signifie « ce qui n’est pas simple croyance subjective », ce qui transcendande la subjectivité. Le domaine de la vérité peut donc se définir comme le domaine des jugements qui, parce qu’ils l’expression de la raison universelle, peuvent et doivent être partagés par tous les esprits rationnels. Définir les limites de ce domaine ne va cependant nullement de soi : peut-on parler de « vérité » en philosophie ou en théologie ? C’est une question toujours débattue.
Aux définitions de la vérité, on peut associer quelques grandes propriétés. L’universalité, en premier lieu : la vérité est universelle par définition. Universelle ne signifie pas ici qu’elle est partagée par tous, mais qu’elle devrait l’être. Il s’agit d’une universalité de droit, non d’une universalité de fait. Une croyance universelle, partagée par tous, peut être fausse, tandis que la vérité peut surgir de l’esprit d’un seul, d’un génie scientifique. C’est pourquoi, pour être précis, il est préférable de dire que la vérité est « le jugement universellement valable » ou bien « le jugement universalisable ». Cette propriété de la vérité fournit un critère de sa reconnaissance qui présente une difficulté : l’accord des esprits, le « consensus », est un critère indispensable de la vérité (puisque sans cela la vérité n’est pas reconnue comme telle), mais il s’agit d’un critère fragile, puisqu’il est possible que le consensus se fasse sur une erreur, sur ce qui a l’apparence de la vérité et que l’on confond avec la vérité elle-même. L’erreur judiciaire repose toujours sur un consensus qui a fait croire à la vérité; le progrès des sciences repose sur le dépassement des théories sur lesquelles s’accordaient auparavant les meilleurs esprits.
Autre propriété indissociable de la notion de vérité : la certitude. La certitude de la vérité est cependant la certitude objective du savoir, qu’il faut distinguer de la certitude subjective du préjugé, fondée sur l’absence de doute. La certitude, le sentiment d’évidence (évidence sensible ou évidence rationnelle) est un critère indispensable de la vérité. La certitude objective est la conscience de la nécessité (« Cela ne peut être autrement ») générée par la preuve (la démonstration pour les vérités de raison, l’expérience sensible et l’observation directe pour les vérités de fait). Ce qui est certain est ce qui hors de doute, absolument indubitable. La preuve qui contraint l’esprit à admettre un jugement comme certain, suppose néanmoins, pour d’une part pouvoir être recherchée, d’autre part être reconnue à sa juste valeur, la pratique du doute méthodique et une théorie de la preuve (la définition de ce qu’est une véritable « preuve » ne va nullement de soi). Si la certitude est un critère indispensable de la vérité, ce n’est donc pas un critère suffisant. La fausse certitude de la fausse croyance fondée sur une fausse preuve est toujours possible. Pour s’accorder sur ce qu’on entend par « vérité », il faut au préalable s’accorder sur une théorie de la connaissance, une théorie de la méthode de production de la preuve sur laquelle se fonde la reconnaissance de la valeur de la preuve.
La vérité, une fois produite, est définitive, acquise pour l’éternité. Avant la preuve, il n’y a que des hypothèses, des opinions incertaines et provisoires qui peuvent coexister et s’opposer, être tantôt dominantes, tantôt dominées. La preuve, en permettant de distinguer la vérité de l’erreur, élimine à la fois l’incertitude et le caractère provisoire de l’opinion douteuse. La preuve qui contraint l’esprit à admettre la valeur universelle d’un jugement implique également la reconnaissance du caractère indestructible de ce jugement. Si j’admets comme vérité l’affirmation « 2 et 2 font 4 », j’admets à la fois le caractère universellement valable de cette affirmation et son caractère indestructible pour tous les temps à venir. La vérité peut être ignorée avant d’avoir été « découverte » (notion qui implique du reste que l’on dévoile ce qui était présent sans être vu ou reconnu) mais, une fois établie, elle devient définitive, la permanence étant l’expression de l’universalité dans le temps. La raison pour laquelle on tend à faire de la vérité mathématique le modèle de la vérité tient probablement au fait qu’elle illustre parfaitement cette propriété : la connaissance mathématique progresse sans mettre en cause la connaissance acquise, que l’on peut tenir pour indestructible et définitive. Il n’en va toutefois pas de même dans le domaine des sciences, et il importe de comprendre pourquoi.
Sur la science
La réalité que la science cherche à connaître est la réalité empirique, la réalité qui s’impose à notre esprit par l’intermédiaire des sens. L’objet de la science est le monde des « phénomènes », les choses telles qu’elles apparaissent à nos sens, notamment à la vue, l’observation constituant pour l’homme le premier et principal instrument d’exploration du réel. Il est pour cette raison tentant de faire de l’évidence sensible le critère de la vérité du savoir : il faut croire ce qu’on voit. La vérité de cette règle tient au constat qu’on ne pourrait rien tenir pour vrai dans le domaine de la connaissance de la réalité extérieure sans la reconnaissance de la valeur de l’obervation directe. Le problème de toute enquête empirique (policière, journalistique ou scientifique) est cependant de reconstituer une réalité qui « ne tombe pas sous le sens ». Il s’agit toujours de construire une représentation de la réalité telle qu’elle est à partir de la réalité telle qu’elle nous apparaît, c’est-à-dire telle qu’elle apparaît à un point du vue (le nôtre, celui de l’enquêteur) nécessairement particulier et limité (et même, s’agissant de l’univers tout entier, extraordinairement limité).
Une enquête empirique n’est jamais exclusivement une accumulation d’observations (d’indices, de faits observés). Il faut construire des « théories » hypothètiques (scénario de ce qu’il s’est réellement passé pour l’enquêteur de police ou le journaliste, explication d’un phénomène par un mécanisme non apparent, une « loi de la nature », pour le scientifique). Se pose alors le problème de la preuve permettant de distinguer l’erreur de la vérité parmi les hypothèses conçues par l’esprit de l’enquêteur (une communauté scientifique étant une communauté de « chercheurs », d’enquêteurs dans un domaine de réalité). L’hypothèse est une construction intellectuelle, qui doit être cohérente en elle-même et cohérente (en adéquation) par rapport à l’ensemble des faits observables connus. A la différence de ce qui se passe en mathématiques, la cohérence de la démonstration ne constitue pas en elle-même la preuve. Dans les enquêtes empiriques, en particulier bien entendu dans les sciences, la démonstration de la cohérence d’un scénario ou d’une explication est à l’inverse considérée comme une « théorie » dont il faut prouver qu’elle est « vraie », qu’elle correspond à l’objet, à la réalité telle qu’elle est. La preuve ne peut être qu’une preuve empirique, c’est-à-dire une observation directe.
Comment une observation peut-elle prouver la valeur de vérité d’une théorie, transformant ainsi l’hypothèse en connaissance ? La théorie de la preuve qui paraît aller de soi consiste à penser que l’observation doit confirmer l’hypothèse, établissant la vérité de celle-ci. Cette conception de la preuve est celle de l’empirisme, la théorie de la connaissance qu’adopte spontanément l’esprit. Selon cette théorie, pour laquelle toutes nos idées viennent des sens, la méthode de la connaissance consiste à tirer d’observations répétées une idée générale, que l’on peut ensuite « vérifier » par de nouvelles observations qui confirment l’idée. Par exemple, on observe une série de cygnes blancs, on en induit (l’induction est le raisonnement qui va du particulier au général) que tous les cygnes sont blancs (idée générale), puis chaque nouveau cygne observé « confirme », « vérifie » ou « prouve » l’idée selon laquelle tous les cygnes sont blancs. De cette théorie de la connaissance, on pourrait déduire une théorie du progrès de la connaissance scientifique : l’idée selon laquelle la science progresserait linéairement, en accumulant de nouvelles observations et en ajoutant de nouvelles idées générales, de nouvelles « lois », à celles déja connues. Les « vérités scientifiques » découvertes au fil du temps constitueraient ainsi autant de vérités définitives de plus en plus nombreuses.
L’histoire des sciences ne ressemble pourtant pas à cela. A la différence de ce qu’on observe en mathématiques, les vérités scientifiques n’apparaissent pas « définitives ». Une théorie peut être un temps tenue pour vraie, puis être abandonnée à la suite d’observations dont elle ne peut pas rendre compte. Le géocentrisme a par exemple longtemps fait consensus chez les astrophysiciens, lesquels après la révolution copernicienne ont adopté la théorie de l’héliocentrisme. Indépendamment des grandes révolutions scientifiques (révolution copernicienne, révolution darwinienne), la science révise tous les jours à plus petite échelle ses connaissances, les scénarios décrivant ce qui arrive ou les explications de ce qui arrive. On trouve par exemple encore des manuels scolaires qui affirment que notre espèce, homo sapiens, est apparue il y a 200 000 ans, alors qu’une découverte récente au Maroc de fossiles datant de 315 000 ans a repoussé cette origine de 100 000 ans. Dans les sciences, les vérités paraissent provisoires, ce qui se conçoit aisément puisque les théories demeurent dépendantes des observations et qu’une observation nouvelle, un fait nouveau, peut venir détruire ce qu’on tenait pour certain.
Le progrès scientifique revêt donc un aspect paradoxal, puisque la science ne semble pouvoir progresser qu’en détruisant ses propres constructions, ses propres acquis. Ce qui pourrait justifier le scepticisme, l’idée selon laquelle les connaissances scientifiques n’en sont pas vraiment, puisqu’elles sont douteuses. Le scepticisme peut s’appuyer sur l’empirisme : la méthode de la science consiste à tirer de l’observation des idées générales, d’où la fragilité de celles-ci, puisqu’une seule observation peut faire s’effondrer la vérité établie. L’observation d’un cygne noir suffit à détruire l’idée selon laquelle tous les cygnes sont blancs. De l’histoire des sciences et de la théorie du raisonnement scientifique (l’empirisme), il faudrait ainsi déduire l’impossibilité de prouver la certitude de la connaissance scientifique. Toutes nos connaissances ne seraient que des croyances auxquelles manque le caractère définitif (la permanence dans le temps) requis pour pouvoir parler de vérité établie.
Comment concilier le caractère provisoire des vérités scientifiques avec leur statut de vérité ? Si l’analyse de la notion de vérité fait apparaître que la vérité a nécessairement pour propriété le caractère permanent et définitif, ne faudrait-il pas renoncer à parler de « vérité scientifique » ? L’épistémologue Karl Popper [l’épistémologie est l’étude des sciences, la branche de la philosophie spécialisée dans la réflexion sur l’histoire est les méthodes de la connaissance scientifique] a dissipé le paradoxe de la « vérité provisoire » en proposant une théorie de la connaissance, le faillibilisme, qui, sans rejeter l’importance donnée à l’observation par l’empirisme, souligne l’erreur d’analyse qui consiste à faire de l’induction le mode de raisonnement scientifique.
Dans les sciences, on part toujours de l’expérience, de l’observation, mais la théorie est toujours une hypothèse conçue librement par l’esprit de l’enquêteur (ou par le génie propre du scientifique) : elle n’est ni tirée de l’expérience sensible, ni prouvée par l’expérience. Elle n’est pas tirée de l’expérience puisque l’hypothèse peut être contre-intuitive : Galilée conçoit la loi de la chute des corps (tous les corps tombent dans le vide à la même vitesse) en contradiction avec ce qu’on croit voir (les corps lourds paraissent tomber plus vite que les corps légers). L’héliocentrisme, la théorie selon laquelle la Terre tourne sur elle-même et autour du soleil, dément notre expérience sensible (on ne sent pas la Terre bouger et le soleil paraît tourner autour de la Terre). Il est vrai en revanche que la théorie conçue par l’esprit dépend de l’observation pour prouver sa valeur de vérité. Une théorie qui ne peut pas être testée par l’expérience n’est pas scientifique. Dans la mesure où on attend de la preuve qu’elle montre que la théorie s’accorde avec la réalité telle qu’elle est, il faut qu’elle soit empirique, puisque nous n’accédons à la réalité que par l’intermédiaire des sens.
L’erreur de l’empirisme, selon Popper, consiste à croire que l’observation, après avoir servi à trouver les idées (par induction), puisque « toutes les idées viennent des sens », peut servir à les confirmer ou à les vérifier. « Les théories ne sont donc jamais vérifiables empiriquement » écrit Popper. L’observation d’un cygne blanc ne vérifie par l’idée selon laquelle tous les cygnes sont blancs. La preuve scientifique ne peut être qu’empirique, mais la preuve empirique ne peut être qu’une réfutation par l’expérience, et non pas une vérification. L’observation d’un cygne noir prouve de manière indubitable que l’idée selon laquelle tous les cygnes sont blancs est fausse. Telle est le mode de démonstration utilisée dans les sciences, notamment (mais pas exclusivement) dans la méthode expérimentale. D’une théorie on déduit des faits observables possibles qu’on va ensuite chercher à observer. L’observation d’un fait (d’un événement du monde) que la théorie avait permis de prévoir confirme la solidité de cette théorie, sa valeur scientifique, mais elle ne prouve pas sa vérité. En revanche l’observation d’un fait qui viendrait contredire les attentes de la théorie invaliderait définitivement cette théorie.
Il y a donc, dans les sciences (et plus généralement dans les enquêtes empiriques), asymétrie entre le vrai et le faux : une observation peut prouver l’erreur, elle ne prouve jamais la vérité ; la preuve empirique est une réfutation, non une vérification ou une confirmation. La démonstration mathématique prouve la vérité, la preuve expérimentale ne prouve que l’errer. On appelle aujourd’hui « biais de confirmation » la tendance de l’esprit qui consiste à chercher dans l’expérience la confirmation de ses idées. Un esprit scientifique (ou un bon enquêteur) suit la démarche inverse : il cherche dans l’expérience la contradiction, les faits susceptibles de détruire ses hypothèses. Telle est, souligne Popper, la condition du progrès de la connaissance : la science procède par essais et erreurs; l’essai, c’est l’hypothèse, la théorie conçue par l’esprit, l’erreur, c’est la réfutation par l’expérience. Sans les tests empiriques qui cherchent à prouver l’erreur, l’esprit ne pourrait pas se libérer de ses fausses croyances à propos du réel. Si donc la vérité est provisoire, dans les sciences, c’est parce que l’esprit scientifique est un esprit critique, parce que la méthode scientifique est une machine à détruire les fausses croyances, les représentations fausses du réel construites par l’esprit humain.
Cette théorie de la preuve, selon laquelle on ne peut jamais prouver la vérité dans les sciences, justifie-t-elle le scepticisme ? Popper distingue le faillibilisme, la théorie selon laquelle toutes nos connaissances sont faillibles (exposées à la contradiction par l’expérience, donc susceptibles d’être fausses), du scepticisme, la théorie selon laquelle rien n’est certain, de sorte qu’il est impossible de distinguer entre connaissance et croyance. La nuance n’est pas rhétorique : la preuve scientifique produit bien de la certitude. Ce qui est certain dans les sciences, et par conséquent définitif, c’est l’erreur. Parler de « vérité scientifique » signifie qu’on ne reviendra jamais, dans tous les temps à venir, à l’idée selon laquelle le soleil et la « voûte celeste » tournent autour de la Terre. La vérité est provisoire mais l’erreur est définitive : le retour à des représentation de la réalité abandonnées par les scientifiques, dépassées par le progrès des sciences, est impossible.
Reste que, c’est le point sur lequel Popper donne raison au scepticisme, les connaissances scientifiques sont « conjecturales » ou « hypothétiques ». Parler de « vérité scientifique » signifie que la théorie considérée comme vraie est la représentation de la réalité telle qu’elle est la plus exacte que la science puisse produire, la meilleure approximation du réel, c’est-à-dire la seule hypothèse acceptable par un esprit rationnel qui cherche sincèrement la vérité.
Textes de Popper
Karl Popper, Logique de la découverte scientifique (1934)
Dans ma conception, il n’y a rien qui ressemble à de l’induction. Aussi, pour nous, est-il logiquement inadmissible d’inférer des théories à partir d’énoncés singuliers « vérifiés par l’expérience » (quoique cela puisse vouloir dire). Les théories ne sont donc jamais vérifiables empiriquement. […] Toutefois, j’admettrai certainement qu’un système n’est empirique ou scientifique que s’il est susceptible d’être soumis à des tests expérimentaux. Ces considérations suggèrent que c’est la falsifiabilité et non la vérifiabilité d’un système qu’il faut prendre comme critère de démarcation. En d’autres termes, je n’exigerai pas d’un système scientifique qu’il puisse être choisi, une fois pour toutes, dans une acception positive, mais j’exigerai que sa forme logique soit telle qu’il puisse être distingué, au moyen de tests empiriques, dans une acception négative : un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l’expérience.
Karl Popper, Conjectures et réfutations (1963)
La science ne souscrit à une loi ou à une théorie qu’à l’essai, ce qui signifie que toutes les lois et les théories sont des conjectures ou des hypothèses provisoires (j’ai parfois qualifié cette position d' »hypothétisme ») et que nous pouvons rejeter une loi ou une théorie sur la base de données nouvelles sans écarter nécessairement les anciennes données qui nous l’avait fait adopter. On peut conserver dans son intégrité le principe de l’empirisme, puisque ce sont l’observation et l’expérimentation, l’issue des tests, qui décident du sort d’une théorie, de son acceptation ou de son rejet. Dans la mesure où une théorie résiste aux tests les plus rigoureux que nous sachions élaborer, elle est acceptée; dans le cas contraire, elle est rejetée.