La lecture du sujet : comprendre le sens de la question
Le sujet contient une notion du programme qui indique le thème (de quoi est-il question ?). Il est important de disposer d’une définition de la notion afin de pouvoir amorcer l’analyse du sens de la question.
La question n’est pas connue à l’avance et il s’agit d’une question particulière. Ce qui signifie que l’on attend une réflexion visant à expliciter le sens de cette question. Il faut donc se demander pourquoi on pose cette question. Le but de la dissertation n’est pas d’exposer ses connaissances sur le thème, mais d’apporter une réponse argumentée à la question particulière qui est posée.
La question donne une indication sur les différentes orientations possibles de la réflexion ou sur l’orientation de la réflexion qu’il convient de privilégier. Nombre de questions de dissertation commencent par « Faut-il… » ou par « Doit-on… » : on sait en ce cas qu’il s’agit classiquement de développer une réflexion dont la finalité est normative. Il s’agit alors d’examiner la valeur d’une règle : en transformant la question en affirmation, on obtient la prescription d’une règle (norme) que l’on peut justifier ou critiquer. Exemple : la question Faut-il toujours dire la vérité ? appelle une discussion sur l’interdit du mensonge. Que faut-il penser de la règle morale selon laquelle il faut en toutes circonstances dire la vérité, du principe qui prohibe inconditionnellement le mensonge ?
La règle sur laquelle porte la discussion se rapporte nécessairement à l’une des grandes problématiques de la philosophie :
1) Quelle est la bonne manière de penser ? Quelle est la règle qui permet de bien penser, c’est-à-dire de bien juger, de ne pas se tromper, d’être rationnel ?
2) Quelle est la bonne manière d’agir du point de vue moral ? Quelle règle morale faut-il adopter pour être juste ?
3) Quelle est la bonne manière d’agir du point de vue politique ? Quel principe de justice doit servir de guide au citoyen et à l’Etat pour définir les droits et les devoirs ?
4) Quelle est la bonne manière de vivre pour vivre heureux (ou pour que la vie ait un sens et une valeur) ? Quelle règle de prudence ou maxime de sagesse faut-il adopter ?
Beaucoup de questions commencent par « Peut-on… », ce qui ouvre deux directions possibles à la réflexion. « Peut-on… » signifie d’une part, c’est le sens à privilégier, « Est-il permis de… », « A-t-on le droit (moral ou intellectuel) de… », « A-t-on raison de… ». Mais « Peut-on… » signifie d’autre part « Est-il possible de… », ce qui exige de se placer d’un point de vue descriptif. Exemple : La question Peut-on douter de tout ? exige de réfléchir aux différents usages factuellement possibles du doute (doute méthodique, scepticisme, négationnisme) en vue de répondre à la question de droit, laquelle exige de s’interroger sur la valeur de la règle de méthode selon laquelle « il faut douter de tout » pour bien penser – La règle selon laquelle il faut douter de tout se déduit-elle de l’esprit critique bien compris, qui revendique le droit de mettre en question toutes les croyances au nom de la libre recherche de la vérité ?
Enfin, il existe un troisième type de questions, les questions qui ne commencent ni par « Faut-il… » ou « Doit-on… », ni par « Peut-on… ». Il faut alors se demander si la question commande d’orienter la question vers l’examen d’une règle ou bien vers l’interprétation d’un aspect de la condition humaine. Exemple : la question La justice est-elle le masque de la force ? exige de faire porter la réflexion sur ce qui est, dans la mesure où 1) on demande si la justice est ou n’est pas le masque de la force, 2) la réponse dépend de l’idée qu’on se fait de la nature humaine.
La structure de l’introduction
L’introduction doit présenter le thème (la notion du programme impliquée par le sujet, que l’on doit définir), expliciter le sens de la question (par exemple en reformulant plus précisément la question, ou en proposant plusieurs reformulations possibles) et présenter les points de vue qu’il faut faire dialoguer (c’est cette présentation qu’on appelle « la problématique »). Enfin, si l’on peut, il faut souligner l’enjeu de la question, ce qui fait son intérêt humain et/ou son intérêt philosophique.
Pour identifier les deux thèses qu’il faut faire dialoguer, il faut 1) transformer la question en affirmation, ce qui donne la thèse que la question demande d’examiner et de discuter; 2) concevoir une raison de contester cette thèse afin de concevoir la thèse qu’on pourrait lui opposer.
La structure du développement
La raison d’être du développement est d’apporter une réponse argumentée à la question posée. Ce qui implique la mise en oeuvre des trois règles de la réflexion : 1) il faut penser par soi-même, c’est-à-dire se forger une conviction, afin de pouvoir défendre une thèse, un parti pris; argumenter, c’est défendre une thèse; 2) il faut se mettre en pensée à la place de tout autre, c’est-à-dire être capable de se placer du point de vue auquel on adhère pas afin de le présenter sous son meilleur jour; argumenter, c’est justifier un point de vue après avoir examiné tous les points de vue possible en soulignant les forces et les faiblesses de chacun; 3) en tout temps du développement de l’argumentation, à chacune des étapes du raisonnement, il faut être en accord avec soi-même; argumenter, c’est être cohérent. Le dernier point est le plus délicat : comment se contredire sans se contredire, présenter des points de vue contradictoires entre eux tout en restant cohérent ? Il importe de ne pas perdre le fil conducteur de la réflexion (la problématique présentée dans l’introduction), de ne pas perdre de vue ce qu’on veut dire (la thèse à défendre) et de justifier chacune des étapes du raisonnement comme des moyens d’arriver au but (justifier une réponse parmi les réponses possibles à la question posée).
Deux conseils pour rester cohérent
1) Choisir le plan dialectique et progressif en deux parties. Le mot « dialectique » vient de dialogue et signifie que les deux parties de l’argumentation correspondent à deux thèses contradictoires (chacune étant « l’antithèse » de l’autre). Il faut prendre pour règle que chacune des parties doit apporter une réponse différente à la question posée. Le développement ne peut donc pas comprendre moins de deux parties. Il faut également prendre pour règle de commencer par la thèse la plus faible (le point de vue auquel on n’adhère pas, que l’on juge insuffisant en dépit des raisons d’y adhérer que l’on fait valoir), puis d’enchaîner par la thèse la plus forte (la réponse que l’on veut justifier, qui se fondent sur les raisons plus fortes, des arguments que l’on juge meilleurs). Pour être cohérent, autrement dit, il faut que le plan dialectique soit également « progressif », qu’il progresse en direction de la vérité.
2) Les deux parties doivent être séparées par un paragraphe de transition. Ce paragraphe a pour fonction de signaler au lecteur le statut de chacune des parties. Il signale la distance critique à l’égard de l’argumentation développée dans la première partie et annonce la critique de cette argumentation, qui conduira à l’introduction et à la justification de la thèse défendue dans la deuxième partie. Le paragraphe de transition doit souligner, par la formulation d’une question ou/et d’une objection, une raison de douter de la valeur de la thèse défendue dans la première partie.
Conseils pour la construction d’une partie
Chacune des parties doit justifier une réponse à la question posée. Chaque partie constitue donc un tout en elle-même, une argumentation autonome. Le noyau de cette argumentation (qu’il faut enrichir autant que possible par des références et des illustrations) est un raisonnement en trois étapes. La construction de ce raisonnement obéit à deux exigences :
1) La troisième étape du raisonnement, le moment qui conclut la partie, est nécessairement l’explicitation de la réponse (la thèse qui répond à la question posée) que cette partie a pour but de justifier. C’est une étape qui peut être longuement développée, car on peut y inclure la formulation d’objections possibles et de réponses aux objections, ainsi qu’une réflexion sur les implications possibles (conséquences théoriques ou pratiques) de la thèse.
2) Argumenter, c’est donner la raison qui justifie une affirmation. Pourquoi, par exemple, affirmer que « la justice est le masque de la force » ? La réflexion, nourrie par la connaissance du cours, doit permettre de remonter dans l’ordre des raisons, d’identifier les raisons susceptibles de constituer les prémisses d’un raisonnement préparant la conclusion.
Exemple : Pourquoi affirmer que la justice est le masque de la force ? Parce que ce sont les hommes qui exercent le pouvoir qui font les lois; l’élite dirigeante n’a pas seulement une position de domination : elle peut utiliser cette position de domination pour dire le juste et l’injuste à tous les niveaux (la conception idéologique de la justice, le contrôle du pouvoir législatif, les pressions exercées sur l’institution judiciaire). Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que hommes sont ainsi fait – forts ou faibles – qu’ils cherchent à satisfaire leurs intérêts par tous les moyens, dans la mesure où ils en ont la liberté; l’intérêt des hommes sur qui s’exerce la force du pouvoir est d’obéir aux lois, mais ceux qui disposent du pouvoir n’ont aucun intérêt de soumettre leur volonté à un idéal de justice désintéressé. Les raisonnement sera donc le suivant : prémisse 1, les hommes, sans exception, sont égoïstes par nature; prémisse 2, les puissants ne sont ni plus ni moins égoïstes que les autres, mais ils disposent des moyens de satisfaire leurs intérêts, notamment en instituant les règles de justice qui arrangent ces intérêts; conclusion, ce qu’on appelle « justice » dans la société, conçue et mise en oeuvre par l’élite dirigeante, n’est que le masque de la force, un outil de la domination sociale qui permet d’obtenir le consentement du peuple à l’ordre établi et de dissimuler la réalité des rapports de forces.
Il faut donc remonter dans l’ordre des raisons durant le temps de la réflexion pour pouvoir le redescendre durant la rédaction, laquelle doit exposer l’enchaînement logique des raisons conduisant à se représenter comme vraie la thèse qui s’en déduit. C’est par exemple en posant d’abord comme une évidence que la nature humaine est égoïste qu’il m’est possible de conduire un interlocuteur ou un lecteur à admettre l’idée que la justice ne peut être autre chose qu’un habillage de l’égoïsme des dominants.