Définitions
Anthropologie : l’étude et la connaissance de l’homme.
Barbarie, barbarie : 1) le comportement dégradant et cruel (sens moral ordinaire) ; 2) ce qui est proche de la nature originaire (synonyme de « primitif » ou de « sauvage ») ; 3) l’autre, au sens de l’étranger que l’on ne comprend pas et que l’on tend à mépriser (ce qui correspond à l’étymologie grecque ou latine : le barbare est l’étranger, celui qui parle une langue qui n’est pas semblable à la nôtre). « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage » (Montaigne).
Déterminisme : toute doctrine selon laquelle l’existence, la pensée et l’action de l’homme sont déterminées par un mécanisme dont celui-ci n’a pas conscience.
Ethnocentrisme : la tendance à produire des jugements de valeur sur les autres en prenant pour référence exclusive les valeurs de sa propre culture.
Essentialisme : toute conception de l’homme selon laquelle l’identité et l’existence d’un individu sont déterminées par son « essence », c’est-à-dire par la catégorie qui sert à le définir.
Race : 1) Le concept scientifique : un groupement naturel d’hommes qui présentent un ensemble de caractères héréditaires communs, quelles que soient par ailleurs ce qui les distingue sur le plan culturel (langue, religion, nationalité, mœurs). 2) Le concept idéologique (racialiste) : un groupement humain à la fois racial et culturel, dont les caractères héréditaires communs déterminent l’identité morale et/ou culturelle.
Racialisme : la théorie selon laquelle l’histoire de la civilisation et la diversité des cultures sont l’œuvre des races, conçues comme des groupes humains naturels dont les caractères moraux, déterminés par la nature, sont permanents et non modifiables par l’éducation.
Monogénisme et polygénisme : 1) le monogénisme est la doctrine selon laquelle les races humaines dérivent d’une souche humaine commune ; 2) le polygénisme est la doctrine selon laquelle les races humaines sont issues de souches distinctes dès l’origine.
Taxonomie ou taxinomie : la branche des sciences naturelles qui a pour objet de classer méthodiquement les organismes vivants en catégories hiérarchisées appelées « taxons ».
La distinction entre science et idéologie
La science est la connaissance de la nature. Elle vise à décrire et à expliquer la réalité telle qu’elle apparaît et peut être observée. Les descriptions et les explications de la science, si elles sont vraies (si elles correspondent à la réalité telle qu’elle est), constituent ce qu’on appelle les faits. La science véritable ne contient aucun jugement de valeur : elle vise exclusivement à produire la connaissance de ce qui est, non à évaluer ce qui est, ni à dire ce qui doit être (formuler un idéal moral ou politique). La première règle de la méthode scientifique est la neutralité axiologique : le scientifique doit neutraliser son rapport aux valeurs (faire abstraction de ses convictions morales, politiques ou religieuses) pour produire une théorie de la réalité telle qu’elle est et qui est la même réalité pour tous.
La notion d’idéologie est utilisée pour désigner des théories qui visent à décrire et à expliquer la réalité mais qui ne peuvent pas être considérées comme scientifiques, soit parce qu’elles ne respectent pas la méthode scientifique, soit parce qu’elles contiennent des jugements de valeur et des prescriptions (la justification d’un idéal moral, politique ou religieux).
S’agissant de la théorie des races humaines, une telle distinction est nécessaire, dans la mesure ou les théories racialistes susceptibles de justifier des pratiques politiques racistes relèvent de l’idéologie, tandis que la science naturelle n’a pour but que d’établir une théorie vraie de l’unité et de la diversité de l’espèce humaine.
L’émergence du concept scientifique de « race »
La découverte du monde par les Européens conduit les savants, aux 17e et 18e siècles, à tenter de produire une description des populations qui peuplent les différentes régions du monde. La théorie des races humaines se développe à l’intersection de la géographie et de la zoologie. La science de l’homme (l’anthropologie) doit prendre en considération la diversité des types physiques (morphotypes) découverts sur les différents continents. La notion de « race » permet de désigner un groupe de population qui se distingue des autres par une ou plusieurs caractéristiques physiques, la couleur de la peau par exemple. La mise en ordre savante du monde conduit au projet de dénombrer ces « races » diverses qui composent l’humanité. Cette science des races humaines paraît alors découler logiquement du projet de fonder une anthropologie naturaliste (une science naturelle de l’homme).
La science moderne de l’homme, la science qui à partir du 17e et (surtout) du 18e siècle s’émancipe des préjugés religieux, inscrit l’homme parmi les animaux. La notion de race prend une signification scientifique, au siècle des Lumières, lorsque les scientifiques l’utilisent dans le cadre d’une classification du vivant qui intègre l’homme : la « race » correspond à ce que les zoologistes (les savants qui étudient les animaux) appellent « sous-espèces » et les botanistes (ceux qui étudient les plantes) « variétés ». La variété des formes physiques paraît justifier la thèse de l’existence des races, c’est-à-dire de groupes humains naturels distincts.
La « race » est un concept taxonomique, ce qui signifie qu’il s’agit d’un concept descriptif utilisé dans le cadre d’un projet de classification méthodique du vivant. Sa fonction ou valeur scientifique est de permettre de présenter et d’organiser les différences naturelles observées entre les êtres humains en rangeant ceux-ci dans des groupes naturels distincts. Ce travail de classification est le même que celui de la construction des espèces. Le débat scientifique porte sur la pertinence de distinguer ainsi des groupes de population au sein de l’humanité : la catégorisation raciale et le dénombrement des races sont-ils fondées exclusivement sur les apparences ou bien sur des critères objectifs solides (comme l’est pour l’espèce le critère de l’interfécondité) ?
La formation des races selon la théorie de l’évolution de Darwin
La théorie des races humaines pose aux scientifiques un problème : ces divers groupes humains naturels sont-ils issus de souches humaines distinctes, apparues indépendamment les unes des autres dans les diverses régions du monde (polygénisme), ou bien dérivent-ils d’une seule et même souche humaine (monogénisme) ? La thèse du monogénisme, qui va prévaloir et qui est déjà défendue au siècle des Lumières par le célèbre naturaliste français Buffon, implique le transformisme, la doctrine selon laquelle les espèces du vivant ne sont pas fixes mais se transforment avec le temps.
Le mécanisme naturel de la transformation des organismes vivants est établi par la théorie de l’évolution de Charles Darwin, qui publie en 1859 l’ouvrage qui constitue depuis la référence incontournable sur le sujet : De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie. La notion de « sélection naturelle » n’est qu’une métaphore. L’évolution s’explique par les « variations légères » qui interviennent dans la transmission des caractères héréditaires et qui, lorsqu’elles sont transmises aux générations suivantes, contribuent à transformer l’espèce. La « sélection » s’opère de manière inconsciente et non voulue : si les variations favorisent l’adaptation de l’organisme vivant à son environnement, celles-ci sont transmises au moment de la reproduction et se conservent ; si elles nuisent à la survie, l’organisme meurt avant d’avoir le temps de se reproduire, de sorte que les variations ne se transmettent pas et ne contribuent pas à changer l’espèce.
Les transformations réelles qui donnent naissance à des espèces nouvelles ou à des variétés différentes d’une même espèce résultent toujours d’une série de variations légères et insensibles (que la génétique contemporaine nomme « mutations »). La théorie de l’évolution fournit ains le mécanisme qui explique la formation des races humaines : des groupes humains qui ne connaissent aucun croisement durant une très longue durée, en raison d’une séparation physique (les mers, les montagnes, les déserts, etc.) ou culturelle (l’endogamie culturelle favorisée par la barrière de la langue, de la religion, des mœurs) constituent autant de « séries » différentes aboutissant à des variétés distinctes. Ce processus est à l’inverse contrarié par les rencontre et les mélanges de population résultant des déplacements d’une population, de l’invasion d’une population par une autre.
Arguments en faveur de la thèse de l’existence des races
1) Deux groupes humains constituent des races distinctes si leurs différences se perpétuent en dépit du changement d’environnement (climat, culture) en l’absence de métissage.
« Si l’on transporte un noir et une noire d’Afrique en pays froid, leurs enfants ne laissent pas d’être noirs aussi bien que tous leurs descendants jusqu’à ce qu’ils se marient avec des femmes blanches. » (François Barnier)
« Parmi les dérivations (c’est-à-dire les variétés héréditaires d’animaux appartenant à une même souche), celles qui se conservent en dépit de toutes les transplantations (transposition sous d’autres climats) à travers une longue suite de générations de façon persistante (…) s’appellent races. » (Kant)
2) Les variétés observées au sein d’une espèce (y compris l’espèce humaine) s’expliquent par les mécanismes de l’évolution ; réciproquement, nier l’existence des variétés biologiques au sein de l’espèce humaine reviendrait à nier le fait que les lois de l’évolution du vivant s’appliquent à l’homme.
« Si ‘’race’’ est le plus souvent un synonyme de ‘’variété’’, la négation de la réalité des races humaines équivaudrait à l’affirmation que l’espèce humaine n’a jamais pu produire de ‘’variétés’’ en son sein. » (Patrick Tort)
3) Argument de la génétique contemporaine : « Les populations présentent des différences génétiques moyennes non négligeables à l’égard de certains caractères » (David Reich)
Les objections scientifiques contre l’existence de races humaines
1) Il est impossible de dénombrer les races humaines, car il est impossible d’identifier des groupes racialement homogènes et distincts. Les traits physiques saillants des différents groupes (couleur de peau, taille, texture des cheveurs, etc.) sont enchevêtrés : selon que l’on privilégie le critère de la taille ou de la couleur de peau, par exemple, on obtiendra des classifications différentes.
2) Le métissage rend impossible l’identification de races pures. Toute « race » désignée comme telle est susceptible d’être le produit d’une hybridation, d’un mélange de races. Autrement dit, on ne « constate » jamais l’existence des races, on « postule » l’existence de celles-ci. Postuler signifie admettre sans pouvoir prouver : l’observation des différences physiques justifie le postulat selon lequel ces différences procèdent de races distinctes, mais l’observation ne permet pas d’établir le rapport exact entre le caractère observé – lequel peut fort bien être l’effet d’un métissage – et la race dont on postule l’existence.
3) Argument de la génétique contemporaine : La distance biologique entre deux individus d’une même race supposée est plus importante que la distance biologique entre deux races : la variation des caractéristiques génétiques entre deux individus d’un même groupe (la « race » supposée) est plus importante que la variation des caractéristiques génétiques moyennes de deux groupes.
« La distance biologique entre deux personnes d’un même groupe, d’un même village, est si grande qu’elle rend insignifiante la distance entre les moyennes de deux groupes, ce qui enlève tout contenu au concept de race. » (François Jacob)
« Les races et les populations sont extrêmement semblables les unes les autres, la plupart des variations humaines s’expliquant par les différences entre les individus » (Richard Lewontin)
Le « type-idéal » du racialisme
Le « racialisme » est le nom que l’on peut donner aux théories des races humaines qui établissent l’inégalité en valeur des races humaines et qui justifient une politique de la race. Il faut distinguer le racialisme, qui est une idéologie raciste du comportement raciste (injure, discrimination, etc.) qui ne se réfère pas nécessairement à une théorie.
L’idéologie racialiste se fonde sur une théorie des races humaines qui prend appui sur le concept scientifique de race mais dont la visée n’est pas scientifique. Elle ne s’inscrit pas dans la science naturelle de l’homme dont l’objet est de produire une théorie de l’unité de la diversité de l’espèce humaine comme espèce biologique. Une théorie racialiste est une théorie de l’histoire humaine, une interprétation de l’histoire de la civilisation : la « race » est le facteur privilégié par le racialisme pour expliquer le progrès et le déclin de la civilisation, ou bien pour expliquer les différences entre les cultures, les conflits et les rapports de domination entre les peuples. De cette explication de l’histoire découle la justification d’un projet politique, justification de l’esclavage, du droit de domination d’une race, de la purification de la race à laquelle on considère appartenir, de l’extermination de la race ennemie, etc.
Les théories racialistes se reconnaissent à quelques traits caractéristiques qu’elles ont en commun, ce qui permet d’en faire le portrait intellectuel (ce que le sociologue Max Weber appelle un « type-idéal » ou « idéal-type »). Ce « type-idéal » est une reconstruction qui peut toujours être discuté. Cinq traits caractéristiques permettent en l’occurrence de définir l’idéologie racialiste : 1) le postulat de l’existence des races; 2) le déterminisme; 3) l’essentialisme; 4) l’ethnocentrisme; 5) le scientisme.
1) Le postulat de l’existence des races. Le racialisme tient l’existence des races humaines pour un fait indiscutable. Il s’agit d’un point de départ, d’une donnée sur laquelle repose la théorie. Le racialisme, y compris lorsqu’il se réfère à des travaux scientifiques, n’entre pas dans le débat scientifique relatif à la connaissance objective de l’humanité comme réalité biologique. Ce n’est pas son objet.
2) Le déterminisme qui nie la liberté humaine. Le déterminisme consiste à faire apparaître une relation causale telle que la cause détermine l’effet. En ce sens, toute science est déterministe. Appliqué à l’homme, le déterminisme peut cependant conduire à nier la liberté que celui-ci reconnaît à l’origine de ses pensées et de ses actions. C’est à cette pente que cède le racialisme en se réclamant du rationalisme scientifique pour établir une continuité entre physique et moral, ou entre nature et culture. Le racialisme fait de la catégorie biologique de race le facteur explicatif déterminant des caractéristiques intellectuelles et morales d’une personne ou des développements culturels d’un peuple. Les individus et les peuples apparaissent ainsi enfermés dans les limites naturelles de la race comme l’existence d’un animal est enfermée dans les limites que lui assignent les caractéristiques de l’espèce à laquelle il appartient. Les races étant distinctes, les théories racialistes établissent que les limites naturelles sont différentes selon les groupes humains : l’inégal développement des cultures est présenté comme la « preuve » de l’inégalité des races humaines.
3) L’essentialisme. Le racialisme voit en tout individu un échantillon représentatif de la race à laquelle il appartient. L’individu, autrement dit, se définit par son « essence » raciale, par la catégorie raciale telle que la conçoit la théorie des races. L’essentialisme est indissociable du déterminisme qui nie la liberté humaine : il consiste à nier le pouvoir de l’individu de se définir par lui-même. Les caractéristiques intellectuelles et morales qui sont les siennes sont celles qui définissent l’identité de la race à laquelle il appartient et qu’il possède en commun. La race déterminant les limites de sa perfectibilité
4) L’ethnocentrisme. Le racialisme s’accompagne généralement de considérations sur l’inégalité des races humaines. Or c’est précisément ce qui affecte sa crédibilité scientifique car la théorie des races du racialiste contient des jugements de valeur qui n’ont rien à faire dans le discours scientifique : des jugements esthétiques sur l’inégale beauté des différentes races, des jugements sur les qualités intellectuelles et morales supposées des différentes races, toujours (sans surprise) à l’avantage de la « race » supposée à laquelle appartient l’idéologue racialiste.
5) Le scientisme. Le racialisme prétend établir un savoir sur les races. Mais au lieu de se borner, comme toute science authentique, à décrire et à expliquer ce qui est, le racialisme déduit de la science des races (ou prétendue telle) un idéal politique : la soumission, voire l’élimination des races inférieures, la préservation de la santé de la race, ou celle de la pureté raciale, menacée par le métissage. C’est cette prétention de fonder l’idéal (ce qui doit être) sur la connaissance de ce qui est (les faits) – caractéristique de ce qu’on appelle le scientisme – qui fait du racialisme une idéologie politique et non une science.
Vrai/faux : quatre propositions sur le thème des races humaines
« Il existe des groupes humains génétiquement homogènes et distincts que l’on peut appeler « races » » : FAUX. La variation génétique est plus complexe, de sorte que l’on peut légitimement affirmer que nous sommes « tous parents, tous différents ».
« La notion de race est une pure construction sociale » : FAUX. La notion moderne de race est une construction de la science naturelle, qui repose sur l’observation des variétés (diversité naturelle des groupes de population) au sein de l’espèce humaine. Du fait de l’ascendance commune (monogénisme) et du métissage, le groupe humain que l’on appelle « race » ne peut toutefois être qu’une réalité instable et inadéquate à son concept (première proposition).
« Il est possible de regrouper les individus en fonction de caractères génétiques hérités d’une ascendance commune » : VRAI. Certaines maladies, par exemple, affectent davantage les blancs ou les noirs. Cela n’implique toutefois pas que l’on puisse parler d’une race blanche ou d’une race noire au sens de la première proposition. Cela autorise cependant la distinction entre des groupes de populations selon des critères naturels : certaines caractéristiques génétiques individuelles s’expliquent par l’ascendance, c’est-à-dire par le fait que les individus descendent de groupes humains qui ont connu une évolution séparée par le passé. La génétique des populations préfère néanmoins ne plus recourir au concept de « race », afin d’éviter la confusion entre la science et l’idéologie racialiste.
« Il existe une conception idéologique de la « race » qui est une construction sociale » : VRAI. Ce qui est « construit » s’oppose à ce qui est « donné ». Le fait qu’il existe des variétés au sein de l’espèce humaine est une donnée naturelle que la science doit expliquer par une théorie de l’unité et de la diversité de l’espère humaine. L’usage de la notion de race par l’idéologie racialiste, en revanche, résulte de la construction