18-29 septembre

Qu’est ce que la vérité ?

La notion de vérité exprime deux idées: l’idée d’adéquation de la pensée ou du discours au réel sur lequel porte la pensée ou le discours; l’idée de cohérence (non-contradiction) de la pensée ou du discours. On voit que la notion de vérité, comme celle d’erreur, s’applique à la pensée et/ou au discours (oral ou écrit). L’idéal de vérité naît avec le langage qui exprime la pensée. Il n’y a d’erreur ou de vérité que dans les jugements, énoncés par des propositions, qui affirment ou nient quelque chose sur quelque sujet que ce soit.

Les sujets sur la vérité porte généralement sur le notion de vérité-adéquation. Cette notion d’adéquation vient de la formulation en latin, par Thomas d’Aquin (env. 1225-1274) de l’idée de vérité: « Veritas est adaequatio rei et intellectus (La vérité est l’adéquation de la chose et de l’intellect). » La vérité qualifie l’idée, conçue par l’esprit, qui est en adéquation avec la « chose » qu’elle exprime. Cette idée de vérité est mobilisée pour évoquer l’erreur et la vérité dans les sciences, le système d’information ou l’enquête policière, dans toutes les circonstances où le discours à pour but de décrire ou d’expliquer ce qui est, c’est-à-dire la réalité, ou un aspect de la réalité.

La cohérence logique est un critère de vérité plus général : il s’impose à tous les discours, scientifiques, mathématiques, théologiques, philosophiques, etc. la contradiction, l’erreur logique, a pour effet d’invalider le discours quel qu’il soit, qu’il ait ou non la réalité du monde pour objet. Une démonstration mathématique, par exemple, est un enchaînement de propositions cohérent; elle est vraie parce que cohérente, mais elle ne vise pas à décrire ou à expliquer une réalité. Un discours qui décrit ou explique la réalité doit être vrai dans les deux sens : une théorie scientifique doit, pour être vraie, à la fois être cohérente et correspondre à la réalité. Une proposition ou une théorie peut cependant être cohérente (ne pas être fausse d’un point de vue logique) sans que cela constitue pour autant une preuve de sa vérité au sens de la vérité-adéquation. Dans le domaine de la métaphysique, philosophie ou théologie, il est ainsi possible d’argumenter sans preuve, c’est-à-dire de chercher la cohérence, sans être en mesure de pouvoir prouver l’adéquation à la réalité. La cohérence de la théologie (le discours rationnel sur Dieu), par exemple, ne constitue pas une preuve de l’existence de Dieu. Les deux critères doivent être distingués. La proposition selon laquelle Dieu, l’être parfait par définition, est nécessairement infiniment bon, est une proposition cohérente, vraie parce que cohérente, que Dieu existe ou non. Cette cohérence ne constitue cependant pas en elle-même une preuve qu’il existe réellement un être parfait infiniment bon.

Définitions :

Jugement : acte de la pensée; le jugement est la décision de l’esprit qui consiste, après examen, à affirmer ou à nier quelque chose sur un sujet donné.

Proposition : énoncé de discours (oral ou écrit) qui exprime un jugement.

Vérité-adéquation : l’accord de la connaissance avec son objet; adéquation de l’idée avec la chose; la proposition ou la théorie (ensemble cohérent de propositions) qui correspond à la réalité telle qu’elle est. Ces trois formulations possibles de la même idée de vérité sont correctes.

Vérité-cohérence : l’association sans contradiction, dans une proposition ou un enchaînement de propositions, de deux ou plusieurs idées. La vérité est en ce sens se confond avec le respect du « principe de contradiction » qui formule l’exigence logique de non-contradiction.

Les deux problématiques

Les sujets relatifs à la notion de vérité explorent deux grandes problématiques, correspondant l’une à la question du « comment », l’autre à celle du « pourquoi » (au sens du « en vue de quoi »). Nombre de sujets se rattachent au problème de la méthode, de la preuve, du critère permettant de distinguer erreur et vérité. La question à laquelle il s’agit de répondre est celle-ci : comment découvrir, produire ou reconnaître la vérité, et la distinguer de l’erreur ou de l’illusion ? Ce questionnement relève de la théorie de la connaissance et se rattache au premier domaine de la philosophie (défini par la question « Que puis-je connaître ? »).

Les sujets relatifs à la notion de vérité peuvent également avoir pour objet une réflexion sur la finalité de la recherche de la vérité et sur l’aptitude de l’homme à vouloir la vérité. Ce questionnement , qui interroge notre rapport à la vérité, présuppose la possibilité de l’indifférence à l’égard de la vérité, du déni de la vérité, de la volonté du subordonner l’intérêt pour la vérité à d’autres intérêts. Aux raisons de préférer l’erreur ou l’illusion à la vérité on peut opposer les raisons de valoriser et de vouloir la vérité. L’enjeu est la justification de l’idéal de la vérité. La vérité est un idéal dans la mesure où l’intérêt pour la vérité apparaît comme un un intérêt paradoxal, un intérêt désintéressé susceptible d’entrer en conflit avec d’autres intérêts, notamment sur le terrain politique. La question à laquelle il s’agit de répondre est donc celle-ci : pourquoi vouloir la vérité ? pourquoi faire de la vérité une valeur, un idéal ? Ce questionnement se rattache aux deuxième et au troisième domaines de la philosophie (définis par les questions « Que dois-je faire ? » et « Que m’est-il permis d’espérer ? »).

Il existe notamment un problème moral de la vérité, qui ne concerne pas exclusivement la question du mensonge. Tout le monde désire ne pas être trompé par autrui; mais peut-on affirmer que tout le monde désire ne pas se tromper ? L’erreur, a priori, est involontaire : on se trompe en cherchant la vérité et croyant l’avoir trouvée. Le mensonge, à l’inverse, est volontaire : le mensonge consiste à travestir la vérité pour tromper délibérément autrui, ce qui n’est pas incompatible avec la volonté de vérité, la volonté de ne pas se tromper soi-même. Un sujet sur le mensonge, la question « Faut-il toujours dire la vérité ? », par exemple, concerne le domaine de la morale, c’est-à-dire le domaine des devoirs de l’homme. La question du mensonge porte cependant, au premier abord du moins, sur le devoir envers autrui : a-t-on pour devoir de ne pas tromper autrui ? Entre l’erreur et le mensonge, se trouve une zone grise, constituée par l’indifférence à l’égard de la vérité et par la tentation de préférer l’erreur à la vérité. Du fait de la présence en l’homme de cette indifférence et de cette tentation se pose la question du devoir de vérité comme devoir envers soi-même.

Définitions :

L’erreur : le jugement qui consiste à prendre l’apparence de la vérité pour la vérité elle-même.

L’illusion : l’erreur persistante fondée sur une disposition permanente. Exemples : l’illusion d’optique, qui s’explique par notre faculté optique naturelle; l’illusion qui consiste à prendre ses désirs pour des réalités et qui dure autant que dure le désir.

Le mensonge : le discours contraire à la réalité, tenu dans le dessein de tromper.

La mauvaise foi : l’attitude qui, selon qu’elle est plus ou moins consciente, consiste soit à ne pas admettre devant autrui une vérité que l’on reconnaît, soit à se mentir à soi-même.

La véracité : qualité de celui qui dit la vérité ; l’attachement constant à la vérité.

Le devoir (l’obligation morale) : le devoir est le sentiment de respect pour une loi morale (une loi dictée par la conscience) qui, lorsqu’il contrarie le désir, oblige la volonté. Le devoir est un phénomène de la conscience. Le sentiment du devoir est un sentiment de contrainte intérieure. En ce sens, l’obligation se distingue de la contrainte, qui consiste à subir la pression d’une force extérieure. Agir par devoir consiste à s’obliger être contraint. S’obliger consiste à opposer la volonté au désir, lorsque celui-ci entre en contradiction avec le devoir.

Textes et Pascal et de Kant

Les deux textes illustrent la problématique des rapports entre morale et vérité. L’un et l’autre se rattachent également à la question de l’homme (« Qu’est-ce que l’homme ? »).

Texte de Pascal

La conclusion du texte de Pascal est l’expression d’un impératif, d’une règle, c’est-à-dire d’un devoir : « Travaillons donc à bien penser ! Voilà le principe de la morale ». Le premier devoir de l’homme est de faire un bon usage de sa faculté de penser, d’être lucide, de chercher la vérité pour vivre dans la vérité. L’argument à l’appui de cette thèse est que la pensée fait la valeur de l’homme : « Toute notre dignité consiste donc en la pensée ». Cette affirmation est elle-même fondée sur l’idée selon laquelle la pensée est le propre de l’homme dans l’univers. En tant qu’il occupe une portion de l’espace et du temps, l’homme est un être naturel parmi les autres dans l’immense univers, un corps vivant mortel, une faible force matérielle. Mais dans l’univers connu, l’homme est le seul être doté de la conscience de soi (« il sait qu’il meurt ») et du pouvoir de connaître l’univers et ses lois. Il est le seul être à pouvoir connaître son insignifiance, sa faiblesse, la relativité de sa propre condition dans l’univers. La pensée ainsi définie se distingue de la simple intelligence animale (perception et adaptation à l’environnement en vue de la survie). L’homme est le seul être double, à la fois corps et esprit, ce qu’exprime la métaphore du « roseau pensant » : corps faible et périssable, simple partie d’un Tout, il est supérieur par l’esprit au Tout dont son existence dépend; par l’esprit ou par la pensée, c’est-à-dire par la conscience de soi et la faculté de connaître.

Texte de Kant

Dans la première phrase du texte, Kant définit l’appellation par laquelle les philosophes du 18e siècle caractérisaient leur siècle et sa place dans l’Histoire : « Les lumières se définissent comme la sortie de l’homme de l’état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. » Ce qui signifie que le siècle des Lumières est ainsi nommé parce qu’il a vu se diffuser l’esprit critique permettant à l’homme de se libérer des préjugés. Sans l’esprit critique, l’humanité est comme l’enfance, condamnée à penser sous l’influence d’une autorité.

La minorité, au sens juridique, est l’irresponsabilité associée à l’incapacité de se servir de sa raison sans être guidée par la raison d’autrui. C’est pourquoi le mineur a besoin d’un tuteur, l’adulte apte à penser à sa place et qui pourra être responsable pour lui. L’enfant n’est toutefois pas responsable de sa minorité. L’homme adulte, apte à penser par lui-même, qui renonce à user de sa faculté de penser, doit en revanche être tenu pour responsasable de l’état de minorité dans lequel il se maintient volontairement.

La référence aux « lumières » que l’on oppose à l’obscurantisme de l’ignorance et de la superstition a donc avant tout, selon Kant, une signification morale. Les lumières se définissent par un impératif qui exprime, comme dans le texte de Pascal, le premier devoir de l’homme : il faut penser par soi-même ! « Sapere aude ! [Ose être sage !] Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des lumières. » L’esprit critique et la faculté de penser par soi-même ne sont pas donnés à l’homme, lequel commence sa vie dans les préjugés, sous l’influence des adultes qui autour de lui pensent à sa place. On retrouve dans le texte de Kant l’idée qu’il faut travailler à bien penser, mais cette idée est associée à l’exigence de liberté. Pour vouloir la vérité, le savoir et la sagesse, il faut vouloir se libérer des préjugés, s’émanciper des autorités qui maintiennent l’esprit des hommes sous tutelle.

Si penser est un devoir, c’est qu’il existe en l’homme deux dispositions qui le conduise à préférer l’état de minorité, la soumission à une autorité qui dispense du travail de la pensée : la paresse et la lâcheté. la paresse intellectuelle est le goût du moindre effort dans le domaine de l’esprit. Penser est une activité, une activité pénible, car il faut consentir au doute et à la recherche nécessaire à la production du jugement qui permet d’en sortir. Il est plus confortable de s’en remettre au jugement d’autrui, dans tous les domaines. La lâcheté consiste à céder à la peur de la liberté. Tous les pouvoirs ont intérêt à agiter cette peur de la liberté, justifiant leur autorité par leur souci du bonheur des gouvernés, à l’image de la bienveillance du père de famille à l’égard de ses enfants, voire à celle du bon berger qui guide le troupeau.

Le paternalisme du pouvoir fait ainsi écho à l’état de minorité de celui qui consent à être guidé par la volonté et la raison d’autrui. Contre le paternalisme, le libéralisme des lumières conçoit le projet d’une éducation de la liberté par la liberté : comme l’apprentisage de la marche, l’apprentissage de la pensée, qui est comme la marche une faculté naturelle, suppose la liberté et l’acceptation d’une part de risque. Au prix de quelques chutes et de quelques erreurs, il est possible d’apprendre par soi-même, de se cultiver, de progresser dans tous les domaines de la pensée et de l’action.

Définitions :

La dignité : la valeur absolue, objet de respect inconditionnel, qu’il ne faut sacrifier à aucun intérêt.

L’entendement : synonyme de « la raison », la faculté de penser ou de connaître.

Le préjugé : l’idée reçue d’un autre (d’une autorité). Les préjugés sont les croyances dogmatiques, c’est-à-dire les opinions que les hommes reçoivent de confiance et sans les discuter.

L’autorité (l’autorité intellectuelle) : le pouvoir d’influence (pouvoir spirituel), qui repose sur la confiance et qui consiste dans le pouvoir d’influencer les esprits sans recourir à la force. Exemple : l’autorité du parent sur l’enfant. L’autorité est souvent associée au pouvoir mais s’en distingue. Le pouvoir est pouvoir de contraindre et appelle l’obéissance; l’autorité est l’exercice d’un pouvoir d’influence qui repose sur la confiance de celui qui est influencé. Le modèle de l’autorité est précisément l’autorité du parent à l’égard de l’enfant, lequel pense sous influence parce qu’il place spontanément sa confiance dans le jugement de ses parents.

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