Exemples de sujets possibles :
Le développement des techniques est-il toujours un progrès pour l’humanité ?
Faut-il respecter la nature ?
Idées à retenir
1 – La notion de « technique » vient du grec « tekhnê », que l’on traduit par le mot « ars » en latin. L’art ou la technique désigne l’activité fabricatrice de l’homme, une faculté qui distingue l’homme des autres animaux. L’homme est en effet le seul parmi les animaux à pouvoir fabriquer de nouveaux objets qui n’existent pas dans la nature. Le mythe de Protagoras (du nom d’un personnage d’un dialogue de Platon) exprime à travers un récit de l’origine de l’homme l’idée selon laquelle la faculté d’adaptation de l’homme dans la nature repose sur la possession de cette qualité distinctive quasi-divine, le pouvoir de fabriquer par lui-même les armes que la nature ne lui a pas données. Après avoir créé la vie, les dieux envoient sur Terre deux Titans, deux frères, Epiméthée et Prométhée, afin qu’ils distribuent aux animaux les pouvoirs qui leur permettront de survivre. Epiméthée se charge de la distribution mais oublie l’homme, qui reste nu et sans armes. Heureusement, Prométhée se propose de compenser cet oublie : il vole aux dieux la faculté technique, l’art, pour la donner aux hommes, afin que ceux-ci puissent fabriquer les maisons, vêtements, outils et armes qui leur permettront de survivre dans la nature. L’homme qui, sans la technique, serait le plus démuni des animaux devient grâce à la technique, un pouvoir divin, l’être le mieux pourvu, supérieur aux autres animaux.
2 – La réflexion sur la technique a pour objet les conséquences, pour l’homme et pour la nature, de l’extraordinaire développement des techniques, c’est-à-dire du pouvoir d’agir qui est celui de l’homme dans la nature à l’époque de la technoscience.
On appelle technoscience la technique ou technologie en tant que celle-ci est de la science appliquée, qu’elle résulte du progrès scientifique. L’époque de la Technique est celle du progrès scientifique et technique exploité par le système capitaliste, dont le moteur est l’investissement du capital (la richesse accumulée) dans l’innovation technologique qui permet d’augmenter la productivité du travail (la richesse produite par une même quantité de travail), de développer l’industrie et de mettre en permanence sur le marché des nouveaux produits. L’époque de la technoscience (ou de la Technique, avec un grand « T ») se confond avec la civilisation moderne, que l’on peut faire commencer soit au 16e siècle, époque de la révolution scientifique, soit avec le 18e siècle, au cours duquel s’amorce la première révolution industrielle. L’époque moderne est celle des révolutions industrielles qui résultent des innovations technologiques procédant du progrès des sciences (la machine à vapeur, l’électricité, le moteur à explosion, le numérique, les biotechnologies résultant de la connaissance et de la manipulation génétiques, l’intelligence artificielle, etc.).
3 – Sur le plan philosophique, le principe qui est au fondement de la modernité industrielle a été formulé au 16e siècle par un philosophe anglais, Francis Bacon, réfléchissant à la nature de la science moderne : « savoir, c’est pouvoir« , connaître les lois de la nature permet aux hommes d’accroîre leur pouvoir d’agir en utilisant les lois de la nature pour en exploiter les ressources, produire de nouveaux outils et de nouveaux objets; « on ne commande à la nature qu’en lui obéissant« , écrivit-il également, ce qui signifie qu’il faut connaître les lois de la nature pour accroître le pouvoir d’agir permettant à l’homme de s’émanciper de la nature, de la transformer et de la dominer. Dans le même esprit, René Descartes formula l’idée, au 17e siècle, que la science devait permettre à l’homme de se rendre « comme maître et possesseur de la nature« . La science donne à l’homme un pouvoir qui le fait quasiment l’égal de Dieu, puisque connaissant et maîtrisant les lois de la nature, il peut les utiliser pour créer, donc aussi pour transformer la Création, l’ordre naturel. D’où la fascination et la répulsion que peut susciter la technoscience. A l’âge des biotechnologies, l’homme peut fabriquer des OGM (Organismes Génétiquement Modifiées), des chimères (des formes de vie mixant des espèces différentes) et une nouvelle nature humaine (« l’homme augmenté », idéal du transhumanisme).
4 – Le progrès scientifique et technique est au fondement de l’idée de Progrès, l’idée selon laquelle le sens de l’Histoire est celui d’un progrès de la condition humaine, un progrès de la liberté et du bien-être fondé sur le développement et le perfectionnement des techniques qui permettent aux hommes de mieux satisfaire leurs besoins et leurs désirs. Le fait le plus spectaculaire illustrant ce progrès est l’explosion démographique qui accompagne l’entrée dans l’ère de la société industrielle. Il y avait un milliard d’êtres humains sur Terre en 1800, à l’aube de la révolution industrielle; il y en a aujourd’hui près de huit milliards, et il devrait y en avoir dix milliards d’ici la fin du 21e siècle. La cause de ce succès démographique de l’humanité réside dans le progrès de la médecine ainsi que dans le progrès économique et social résultant du développement des sciences et des techniques.
5 – La critique de l’idée de Progrès qui se développe depuis le milieu du 20e siècle et constitue le coeur de l’écologie politique, repose sur une inquiétude nouvelle quant aux conséquences possibles de l’extraordinaire développement de la Technoscience. Plusieurs inquiétudes s’entremêlent et conjuguent leurs effets pour construire une nouvelle vision de l’avenir, provoquant le basculement de l’espérance dans le progrès illimité vers la peur de la catastrophe. Tout a commencé avec la Bombe atomique, première arme dotant l’humanité du pouvoir de se détruire elle-même. Puis l’inquiétude s’est portée sur la Bombe D, la bombe démographique, l’explosion de la population mondiale pouvant être considérée à la fois comme la conséquence du progrès, le signe de la réussite de l’humanité, et comme la cause de la catastrophe à venir. La crainte de la « surpopulation » était à l’origine une crainte de ne pouvoir nourrir tout le monde, ou de trouver une place à tout le monde. Cette crainte était infondée. Mais la crainte de la surpopulation a contribué à introduire la critique écologique du progrès, qui justifie en retour cette crainte. La domination de l’espèce humaine conduit à l’épuisement des ressources naturelles exploitées par l’industrie humaine, à la destruction des écosystèmes qui conduit à la réduction de la biodiversité, enfin et surtout, au réchauffement climatique provoqué par les émissions de CO2 dans l’athmosphère du fait que la production industrielle mondiale repose principalement sur l’exploitation des énergies fossiles (charbon, pétrole). Avec la révolution industrielle, disent les historiens de la Terre, celle-ci est entrée dans l’ère de l’anthropocène (l’âge de l’homme, c’est-à-dire l’âge de la nature, ou biosphère, façonnée par l’industrie humaine). Jusqu’alors, la nature représentait pour l’homme une puissance supérieure, pourvoyeuse de ressources mais contre laquelle il fallait lutter pour survivre. Désormais la nature est certes toujours considérée comme le Tout dont l’homme est une partie, l’écosystème dont nous sommes dépendants, mais cet écosystème apparaît vulnérable, dominé et menacé de destruction par l’homme. L’homme avait naguère le projet de transformer la nature pour améliorer sa condition. Il a aujourd’hui peur de cette transformation, comme si celle-ci consistait à scier la branche sur laquelle on est assis.
6 – La grande idée morale et politique de l’écologie consiste dans la prise de conscience de la responsabilité de l’homme à l’égard de la nature et des conditions de la vie sur Terre. Cette idée a notamment été formulée par le philosophe Hans Jonas dans son livre Le principe responsabilité, principale référence de l’écologie politique. Dans ce livre Hans Jonas défend plusieurs thèses constitutives de l’écologie politique.
7 – La première thèse est que le développement historiquement inédit de « l’agir humain » (le pouvoir de la Technoscience) rend les morales classiques insuffisantes et exige une nouvelle morale pour fonder une nouvelle politique. La morale classique est fondée sur la règle d’or, le principe selon lequel il faut faire pour les autres ce qu’on voudrait qu’on fasse pour nous, et ne pas faire ce qu’on ne voudrait pas qu’on nous fasse. Ce principe peut régler nos relations avec les hommes qui sont nos contemporains, mais il n’implique pas le souci de la nature, ni celui des générations futures.
» Et si le nouveau type de l’agir humain voulait dire qu’il faut prendre en considération davantage que le seul intérêt « de l’homme » – que notre devoir s’étend plus loin et que la limitation anthropocentrique de toute éthique du passé ne vaut plus ? Du moins n’est-il pas dépourvu de sens de demander si l’état de la nature extra-humaine, de la biosphère dans sa totalité et dans ses parties qui sont maintenant soumises à notre pouvoir, n’est pas devenu par le fait même un bien confié à l’homme et qu’elle a quelque chose comme une prétention morale à notre égard – non seulement pour notre propre bien, mais également pour son propre bien et de son propre droit. Si c’était le cas, cela réclamerait une révision non négligeable des fondements de l’éthique. Cela voudrait dire chercher non seulement le bien humain mais également le bien des choses extra-humaines, c’est-à-dire étendre la reconnaissance des « fins en soi » au-delà de la sphère de l’homme et intégrer cette sollicitude dans le concept de bien humain. » (Jonas)
8 – La situation contemporaine est caractérisée par le règne de la Technoscience, dont le développement immaîtrisé conduit la nature et l’humanité à la catastrophe. La politique contemporaine ne doit pas être fondée sur l’espérance d’un monde meilleur mais sur la peur de la catastrophe, une peur qu’il faut cultiver afin d’inciter les hommes à agir pour l’éviter. Ce qui se traduit par la formulation du principe de précaution : in dubio pro malis (dans le doute, il faut agir en privilégiant le scénario du pire).
« Nous vivons dans une situation apocalyptique, c’est-à-dire dans l’imminence d’une catastrophe universelle, au cas où nous laisserions les choses actuelles poursuivre leur cours. » (Jonas)
« La peur qui fait essentiellement partie de la responsabilité n’est pas celle qui déconseille d’agir, mais celle qui invite à agir ; cette peur que nous visons est la peur pour l’objet de la responsabilité. » (Jonas)
9 – Le nouvel impératif moral et politique doit être d’assurer la permanence de la vie sur Terre, condition de la survie de l’humanité, de la possibilité des générations futures.
« Un impératif adapté au nouveau type de l’agir humain et qui s’adresse au nouveau type de sujets de l’agir s’énoncerait à peu près ainsi : « Agis de façon telle que les effets de ton action soit compatibles avec la Permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ; ou pour l’exprimer négativement : « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie » ; ou simplement : « Ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre » ; ou encore, formulé de nouveau positivement : « Inclus dans ton choix actuel l’intégrité future de l’homme comme objet secondaire de ton vouloir. » » (Jonas)
10 – Ce nouvel impératif moral (ou éthique) conduit à faire le procès de la science, pour deux raisons. D’une part, la science considère la nature de manière moralement neutre, comme une réalité à connaître. La connaissance scientifique exige de neutraliser les jugements de valeur et de rompre avec les conceptions mythologiques de la nature qui conduisent à la diviniser :
« Aucune éthique du passé (mise à part la religion) ne nous a préparés à ce rôle de chargés d’affaires – et moins encore la conception scientifique dominante de la nature. Cette dernière nous refuse même décidément tout droit théorique de penser encore à la nature comme à quelque chose qui mérite le respect puisqu’elle réduit celle-ci à l’indifférence de la nécessité et du hasard et qu’elle l’a dépouillée de toute la dignité des fins. » (Jonas)
D’autre part, la science moderne s’accompagne du projet de maîtrise technique de la nature, ce que Jonas appelle « le programme baconien », du nom du philosophe qui a écrit que « savoir, c’est pouvoir », ce qui signifie que la connaissance de la nature est la condition de la domination de la nature :
« Le danger a son origine dans les dimensions excessives de la civilisation scientifique-technique-industrielle. Ce que nous pouvons appeler le programme baconien, à savoir orienter le savoir vers la domination de la nature et utiliser la domination sur la nature pour l’amélioration du sort humain, n’a sans doute possédé dès l’origine dans sa mise en œuvre capitaliste ni la rationalité ni la justice avec lesquelles il aurait de soi pu être compatible ; mais sa dynamique de succès conduisant nécessairement à la démesure de la production et de la consommation aurait, compte tenu de la brièveté de la fixation humaine des buts et de l’imprévisibilité réelle des proportions du succès, probablement envahi n’importe quelle société (car aucune ne se compose de sages). » (Jonas)