La nature

La notion de nature revêt plusieurs sens, parfois entremêlés :

1) La nature peut désigner le Tout dont l’humanité n’est qu’une partie. La nature désigne la totalité de ce qui existe en un sens large, l’univers, l’ensemble du monde physique ou matériel par opposition au surnaturel (qu’on admette ou non l’existence de celui-ci) ou bien en un sens plus restreint, l’ensemble du monde vivant, des écosystèmes. Quand on évoque les rapports de l’homme et de la nature, il est question de la relation de l’humanité à son écosystème. La nature comme écosystème est le système des éléments physico-chimiques et organiques interdépendants (ce qui comprend notamment l’atmosphère et le climat terrestres, l’eau, la diversité des formes de vie végétales et animales) qui font de la Terre un monde où la vie et l’humanité peuvent prospérer. D’où la tentation de personnifier et de déifier la Nature : en tant que source de vie, la Nature est bienfaisante. Elle est la maison commune à l’ensemble des formes de vie qui constituent ensemble une grande famille solidaire. D’où l’écologie, le discours sur le foyer (oikos en grec, d’où dérive « éco » dans économie, écologie, écosystème), qu’il convient de protéger et d’entretenir contre les menaces de destruction afin de préserver les conditions de la vie sur Terre et de la survie de l’espèce humaine pour les temps à venir.

2) La nature peut aussi désigner, c’est même son sens premier, tout ce qui existe et qui arrive indépendamment de l’activité humaine, tout ce qui existe et qui n’est pas l’homme ou production de l’homme. Le naturel en ce sens ne s’oppose pas au surnaturel mais à l’artificiel, au produit de l’art ou de la technique. Le naturel est ce qui est donné, ce qui se produit tout seul, par opposition à ce qui est inventé et fabriqué par l’homme et qui n’existerait pas sans l’intervention humaine. Nature traduit le latin natura et le grec phusis (à l’origine du mot « physique »). Le terme latin comme le terme grec sont associés à la notion de naissance (natura est dérivé de nasci, qui signifie « naître », phusis, de phuein, qui signifie « croître, pousser, naître »), c’est-à-dire au mode d’engendrement du réel qui est propre au vivant. La nature désigne donc l’inné, ce qui est donné à la naissance et qui procède de l’autoproduction de la vie, par opposition à la culture, ce qui est acquis (ajouté à la nature, résultant d’une innovation), construit par l’histoire et transmis par l’éducation.

Cette définition de la nature et l’opposition entre la nature et la culture conduisent à présenter l’histoire de l’humanité comme étant l’histoire d’une sortie de la nature, d’une lutte de l’homme contre la nature ou d’une conquête de la nature par l’homme. La nature, c’est le monde de la vie originaire, « sauvage », présent sur Terre avant l’arrivée de l’homme, ou bien avant le début de la civilisation, marqué par la révolution du néolithique, le passage de la condition de chasseur-cueilleur (le mode du vie humain le plus « naturel ») à celle de la vie sédentaire d’un agriculteur et/ou d’un éleveur. La nature, c’est encore « l’environnement », le monde naturel autour de l’homme, l’être à part dont le monde n’est plus un monde naturel. Cette distinction-opposition de l’homme et de la nature demeure au cœur de l’écologie contemporaine (qui entend protéger la nature de l’activité humaine). Récemment (en 2000 exactement), est apparu un nouveau concept, l’Anthropocène, pour désigner la dernière époque de l’histoire de la Terre. En 4,5 milliards d’années d’existence, celle-ci a traversé un certain nombre de périodes différentes. Les deux phases les plus récentes (kainos, qui a donné « cène », signifie en grec « nouveau, récent ») sont le Pléistocène (depuis 2,6 millions d’années avant le présent jusqu’à il y a environ 12 000 ans), une période glaciaire, et l’Holocène (les 12 000 dernières années donc), caractérisée comme une période interglaciaire. La stabilité climatique de l’Holocène a sans doute favorisé le développement de la civilisation. Les géologues en sont venus à proposer d’ajouter une nouvelle époque, l’Anthropocène (« l’âge de l’homme ») pour désigner le nouvel âge de la Terre ouvert par la révolution industrielle des deux derniers siècles. Cette ultime période est caractérisée par le fait que, pour la première fois dans l’histoire de la Terre, l’humanité est plus forte que la nature : elle représente une force de changement surpassant les forces géophysiques et contribuant à transformer radicalement le climat et les écosystèmes. Dans le discours écologique, l’humanité comme force de changement est perçue comme une menace pour le monde de la vie et pour l’humanité elle-même. On peut cependant poser la question du moteur de l’histoire de la civilisation. Pourquoi l’homme est-il sorti de la nature ? Si la nature était exclusivement et essentiellement bienfaitrice, pourquoi les hommes ne se seraient-ils pas contentés de ce qu’elle leur offrait ? Si par son travail, l’humanité s’est arrachée à la nature et s’est efforcée de la transformer, c’est à l’évidence pour échapper aux maux dont celle-ci l’accablait, la faim, le froid, les prédateurs et les maladies (les virus étant des sortes de prédateurs), et tenter ainsi d’améliorer sa condition.

La nature est certes admirable, mais pour pouvoir disposer du loisir de la contempler, de l’étudier et de l’admirer, il fallait d’abord la mettre à distance, échapper à la condition naturelle qui est celle, pour l’homme comme pour les autres animaux, de la « loi de la jungle », c’est-à-dire de la lutte permanente pour la survie à court terme. C’est d’ailleurs en raison de sa position d’extériorité par rapport à la nature que l’homme peut aujourd’hui se concevoir comme responsable de la nature afin de l’aménager en fonction de ses intérêts et de son goût de la beauté.

3) La nature peut aussi désigner ce qui constitue en propre un être. La nature ou l’essence d’une chose est sa définition réelle, l’ensemble des caractéristiques originaires qui déterminent son être et son devenir et qui permettent de l’identifier. La notion de « nature humaine », importante en philosophie, peut cependant être interprétée en deux sens, un sens philosophique et un sens scientifique. Au regard de la science moderne, la nature humaine est la nature biologique (génétique) de l’homme, celle que les généticiens invoquent pour considérer qu’il n’existe pas de races humaines, ce qui signifie que notre espèce, homo sapiens, est définie par une identité génétique commune à toute l’humanité, par-delà les différences physiques superficielles. Au sens philosophique, la nature humaine désigne l’ensemble des qualités et des facultés (la raison, la conscience, la liberté et la perfectibilité, la technique, le langage, etc.) universelles, c’est-à-dire présentes chez tous les hommes, en tous lieux et en tous temps. La recherche du « propre de l’homme » vise à identifier la (les) qualité(s) ou faculté(s) qui distingue(nt) l’homme des autres animaux. On peut dire de manière paradoxale que du point de vue de l’humanisme philosophique, le parti-pris philosophique selon lequel le propre de l’homme est la liberté et/ou l’historicité (la faculté de sortir de la nature pour faire son histoire, construire dans le temps ses conditions d’existence), la nature humaine est de ne pas avoir de nature. « Il n’y a pas de nature humaine » proclame par exemple Jean-Paul Sartre. Ce qui ne signifie évidemment pas que l’homme n’a pas de nature biologique : la formule signifie que l’homme n’est pas essentiellement déterminé, ou exclusivement déterminé, par sa nature biologique. A l’inverse, le naturalisme désigne le parti-pris philosophique selon lequel l’homme (y compris la dimension historique ou culturelle de la condition humaine) est en dernière instance déterminé par sa nature biologique, héritée de l’évolution des espèces.

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