Notions mobilisées
L’État, la justice, la liberté, le devoir, la conscience, le bonheur, le travail, la religion, la raison, la vérité, la nature, la technique, le langage.
Le problème fondamental
Le problème de la politique est celui des rapports entre la force et la justice et, par voie de conséquence, celui des rapports entre l’État et la justice. Il pourrait être formulé, dans son abstraction philosophique qui vise à saisir l’essentiel, à la manière de Blaise Pascal dans ce texte :
Il est juste que ce qui est juste soit suivi; il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu’il y a toujours des méchants; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste. La justice est sujète à dispute; la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. Ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice, on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force. Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble, et la paix fut, qui est le souverain bien.
La justice désigne ici l’idéal moral de la politique, c’est-à-dire les principes d’une bonne organisation sociale, d’une bonne constitution de l’État, de la bonne manière de régler par la loi les relations entre les hommes dans une société ainsi que les rapports entre l’État et les citoyens (les droits et les devoirs de l’État et du citoyen). En raison d’une part de la diversité des cultures (des traditions historiques) et d’autres part des diverses conceptions philosophiques de la justice, on peut considérer avec Pascal que « la justice est sujète à dispute » (elle est matière à débats dirait-on aujourd’hui).
Abstraction faite de l’idée qu’on peut concevoir de la justice, la condition politique de l’homme est une réalité : « l’homme est un animal politique« , disait Aristote. C’est un animal grégaire (il vit en société) mais il est le seul animal qui doit créer, par la parole, les lois qui permettent la vie en société. Une communauté politique est une communauté unie par des lois imposées par un pouvoir. Les régimes politiques peuvent varier mais partout où il y a des hommes il y des lois (du droit) et un pouvoir politique (un État). Partout faire exister la communauté politique consiste donc à « mettre ensemble la justice et la force » à travers l’institution de l’État qui se définit, selon Max Weber, par « le monopole de la violence légitime ».
Pascal souligne cependant que la force est plus certaine que la justice (« la force est très reconnaissable et sans dispute »). La réalité de la politique, c’est d’abord la réalité du pouvoir, qui est par essence une force, un pouvoir de contraindre par la force, c’est-à-dire par la violence, qui est utilisation de la force en vue de soumettre la volonté (contraindre à l’obéissance) ou éventuellement de détruire (les ennemis intérieurs ou extérieurs du pouvoir et de la société). La force est « nécessaire » (caractère de ce qui ne peut être autrement qu’il n’est) en ce qu’elle s’impose à nous. Lorsque celui qui est contraint par la force ne consent pas à l’existence de la force qui le contraint, la force est « tyrannique » : un pouvoir est tyrannique lorsqu’il n’est pas regardé comme juste ou légitime par les sujets, c’est-à-dire par les citoyens assujetis aux lois et aux décisions imposées par ce pouvoir.
La force est une réalité, la justice, une idée. Il ne faudrait pas croire, suggère Pascal, que les hommes ont créé la force pour réaliser la justice. La force existe toujours, elle existe nécessairement. La nature, et spécifiquement la nature humaine, est constituée de forces et de rapports de forces. La violence est la réalité première et inéliminable de la condition naturelle de l’homme. L’histoire humaine n’est pas seulement histoire de la lutte de l’humanité contre les éléments naturels, mais aussi histoire de lexploitation de l’homme par l’homme, de la domination de l’homme par l’homme, de la violence exercée par l’homme contre l’homme. Elle est faite de conflits entre les individus ou les groupes sociaux et de guerres entre les communautés. Posé en termes réalistes, le problème politique de l’homme, celui de la civilisation, est de surmonter la tyrannie, d’instituer une société et des relations entre les sociétés dans lesquelles la violence est surmontée et le pur rapport de forces dépassé. Le problème fondamental, autrement dit, est celui de la guerre et de la paix. Le bien suprême (l’idéal) de la politique, nous dit Pascal, ne peut-être qu’un moindre mal, la paix, c’est-à-dire le dépassement de la guerre, de la violence, dans les rapports humains. Il écrit ailleurs que Platon et Aristote ne se sont intéressés à la politique (et la tradition philosophique après eux) que parce qu’il faut bien tenter de régler la société des hommes, qui est « un hôpital de fous ».
Tout pouvoir prétend être juste. Tout pouvoir prétend « mettre ensemble la justice et la force ». Dans l’histoire réelle, on ne part pas de l’idée de justice pour mettre la force à son service mais de la force pour essayer de la rendre juste. Le pouvoir peut, ce faisant, dire que la justice est injuste et dire que c’est la force qui est juste. Il peut, autrement dit, définir l’idée de justice de manière à ce qu’elle convienne à ses intérêts. Cette contradiction entre la force et la justice qui fait le malheur de la condition politique de l’homme semble indépassable. D’où le soupçon qui accompagne l’État, consistant à ne voir dans le droit (les lois) qu’il instaure et l’idéal de justice dont il se réclame que le masque de la force, le moyen par lequel celle-ci à la fois dissimule et justifie la domination de l’homme par l’homme. Dans sa phrase de conclusion, paradoxale, Pascal valide et renverse en même temps ce soupçon : « Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble, et la paix fût, qui est le souverain bien ». Les solutions politiques au problème de la violence et de la domination sont sans doute imparfaites, laisse-t-il entendre, mais elles le sont nécessairement, en raison de la nature de la politique et de la nature de l’homme, de sorte qu’il faut, pour avoir la paix, qui est le maximum que l’on puisse espérer de la politique, feindre de croire que l’État est toujours juste comme celui-ci feint d’être toujours juste.
La thèse de Pascal est à la fois pessimiste et conservatrice. En tant qu’elle prendre pour objet de sa réflexion l’idée de justice, l’idée d’une société juste, la philosophie engendre des projets de réforme, voire de révolution. Platon, dans son plus célèbre texte consacré à la justice et à la politique, La République, avait conçu le rêve du règne des philosophes. De philosophe-roi, cependant, il ne peut y avoir, la postérité se fera une raison, le philosophe pouvant tout au plus espérer jouer le rôle de conseiller du Prince. Le vrai politique est un homme d’action, qui consacre l’essentiel de son énergie et de ses pensées à la conquête et à la conservation du pouvoir. En tant qu’il est un véritable « homme d’État », il se consacre essentiellement à la conquête et à la conservation de la puissance de l’État. S’il en allait autrement, l’homme de pouvoir n’aurait pas le pouvoir et l’homme d’État n’aurait pas d’État, de sorte qu’il ne pourrait servir la justice et que la justice, dépourvue du levier de la force, demeurerait ainsi impuissante. La vertu intellectuelle de l’homme d’action est la prudence, la faculté de concevoir les moyens de parvenir à ses fins, les moyens de réussir en s’adaptant aux circonstances. Le philosophe, comme le scientifique, est un homme de réflexion animé par l’idéal de vérité. Lorsqu’il conçoit une théorie de la justice, il vise la cohérence et l’universalité : la philosophie définit des principes de justice universellement valables, c’est-à-dire valables pour tous les hommes, partout et en tout temps. Pour se faire, il lui faut faire abstraction des intérêts particuliers d’une société ou d’un pouvoir, faire abstraction des circonstances particulières et conserver une distance critique à l’égard de l’existant, des camps politiques, du pouvoir, mais aussi des lois (le droit positif) et des institutions telles qu’elles sont.
La raison d’être de la philosophie politique, autrement dit, est de définir l’idéal du droit, les principes de la justice politique qui peuvent « justifier la force » et servir de guide tant à l’homme d’État, au législateur, qu’au citoyen contraint d’obéir aux lois. Le citoyen dispose ainsi d’un critère autre que la loi elle-même pour distinguer le juste et l’injuste, ce qui rend possible la critique de l’État et du droit existant. La distinction devient possible entre la légalité et la légitimité du pouvoir ou entre la servitude et l’obéissance du citoyen.
Qu’est-ce qu’une théorie de la justice ?
Une théorie de la justice présuppose nécessairement que le sens de la justice est inscrit dans la nature humaine, raison pour laquelle, depuis Platon et Aristote aux origines de la philosophie politique, on parle d’un « droit naturel » pour désigner l’idéal du droit et de l’État, en tant que cet idéal n’est pas relatif, subjectif, variable suivant les opinions et les cultures mais au contraire objectif parce qu’ancré dans l’universelle nature humaine. La notion de droit naturel varie bien entendu selon l’idée que l’on se fait de la nature et de l’homme : le droit naturel moderne, issu des théories « contractualiste » (utilisant les concepts d’état de nature et de contrat social) de Thomas Hobbes, John Locke et Jean-Jacques Rousseau, aux 17e et 18e siècles, et dont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen rédigée par les révolutionnaires français en 1789 est le produit, doit être distingué du droit naturel des Anciens (Grecs et Romains), fondé sur l’idée qu’il existe un ordre naturel qui admet l’inégalité naturelle entre les hommes. Dans tous les cas de figure cependant, la distinction entre droit naturel et droit positif permet de concevoir un critère rationnel pour définir la société juste. C’est le point que souligne ce texte du philosophe Léo Strauss au 20e siècle (Droit naturel et histoire, 1953):
Rejeter le droit naturel revient à dire que tout droit est positif, autrement dit que le droit est déterminé exclusivement par les législateurs et les tribunaux des différents pays. Or, il est évident qu’il est parfaitement sensé et parfois même nécessaire de parler de lois ou de décisions injustes. En passant de tels jugements, nous impliquons qu’il y a un étalon du juste et de l’injuste qui est indépendant du droit positif et lui est supérieur : un étalon grâce auquel nous sommes capables de juger le droit positif. Bien des gens aujourd’hui considèrent que l’étalon en question n’est tout au plus que l’idéal adopté par notre société ou notre « civilisation » tel qu’il a pris corps dans ses façons de vivre ou ses institutions. Mais, d’après cette même opinion, toutes les sociétés ont leur idéal, les sociétés cannibales pas moins que les sociétés policées. Si les principes tirent une justification suffisante du fait qu’ils sont reçus dans une société, les principes du cannibale sont aussi défendables et aussi sains que ceux de l’homme policé. De ce point de vue, les premiers ne peuvent être rejetés comme mauvais purement et simplement. Et puisque tout le monde est d’accord pour reconnaître que l’idéal de notre société est changeant, seule une triste et morne habitude nous empêcherait d’accepter en toute tranquillité une évolution vers l’état cannibale. S’il n’y a pas d’étalon plus élevé que l’idéal de notre société, nous sommes parfaitement incapables de prendre devant lui le recul nécessaire au jugement critique. Mais le simple fait que nous puissions nous demander ce que vaut l’idéal de notre société montre qu’il y a dans l’homme quelque chose qui n’est point totalement asservi à sa société et par conséquent que nous sommes capables, et par là obligés, de rechercher un étalon qui nous permette de juger de l’idéal de notre société comme de toute autre. Cet étalon ne peut être trouvé dans les besoins des différentes sociétés, car elles ont, ainsi que leurs composants, de nombreux besoins qui s’opposent les uns aux autres : la question de priorité se pose aussitôt. Cette question ne peut être tranchée de façon rationnelle si nous ne disposons pas d’un étalon qui nous permette de distinguer entre besoins véritables et besoins imaginaires et de connaître la hiérarchie des différentes sortes de besoins véritables. Le problème soulevé par le conflit des besoins sociaux ne peut être résolu si nous n’avons pas connaissance du droit naturel.
En rappelant la distinction entre droit droit naturel et droit positif, entre l’idéal du droit rationnel tel que la réflexion philosophique tente de théoriser et l’ensemble des lois produite par le législateur au sein d’une société, Léo Strauss est conduit à poser le problème du relativisme et de l’universalisme. L’idéal de justice ne peut-il être autre chose que l’idéal d’une société ou d’une civilisation particulière ? C’est le point de vue du relativisme pour lequel, selon la célèbre formule de Pascal commentant Montaigne, il faut admettre qu’en matière de conception du juste et de l’injuste « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Une théorie philosophique de la justice vise à l’inverse à produire un critère universel (valable pour tous) du jugement politique, permettant de juger à la fois les lois de sa propre société et le droit positif de n’importe quelle époque ou de n’importe quelle société. Concevoir par exemple l’esclavage comme étant contraire au droit naturel de l’homme revient à considérer celui-ci comme injuste en tout temps et en tout lieu. L’argument en faveur du relativisme consiste à faire valoir qu’une théorie de la justice, quelle qu’elle soit, est toujours le produit d’une histoire, donc d’une époque et d’une civilisation particulières. La philosophie des droits de l’homme exprimée dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, par exemple, prétend à l’universalité mais elle est le produit de la philosophie du droit naturel moderne née des guerres de religions au sein de l’Europe chrétienne depuis la réforme luthérienne au 16e siècle.
Afin à la fois d’écarter les ambigüités liées à la notion de droit naturel (qui pose le problème de ce qu’on entend par « naturel » et la question de savoir si on se rèfère à la conception antique ou à la conception moderne du droit naturel) et d’intégrer la question de la justice sociale au socle théorique du libéralisme politique, on parle plus volontiers aujourd’hui de « théorie de la justice » pour désigner la conception idéale et rationnelle de l’organisation politique de la société. L’oeuvre qui fait référence, A Theory of Justice (1971) a l’américain John Rawls pour auteur, le plus commenté au monde au 20e siècle. Sans utiliser les notions d’état de nature et de contrat social, Rawls s’inscrit toutefois dans la logique de la philosophie politique moderne en cherchant à définir les grands principes de justice politique universellement valables sur lesquels des individus libres et égaux pourraient s’accorder pour fonder une société juste.
Les problématiques de la philosophie politique
La philosophie politique est étroitement liée à l’histoire, il ne peut en être autrement. Elle accompagne les problèmes de la condition politique de l’homme, laquelle se transforme dans l’histoire. La Déclaration de 1789, par exemple, est une synthèse de la philosophie politique des 17e et 18e siècles, qui définit la théorie libérale de la justice et qui a donné la formule de la justification moderne de l’État : la formule d’un État laïque dont la finalité est de garantir les droits des individus, ces biens terrestres que sont la liberté, la propriété ou la vie elle-même. Avec la révolution industrielle est apparue au début du 19e siècle, dans le cadre d’un État reconnaissant l’égalité en droits des individus, ce qu’on a appelé « la question sociale », c’est-à-dire le problème de la condition ouvrière et, plus généralement, celui de l’inégalité économique et sociale. Dans cette perspective, ce n’est plus seulement les rapports de L’État et du citoyen qui doivent être étudiées, mais aussi la condition des travailleurs, le rapport à la propriété, l’organisation sociale du travail, les rapports sociaux (la lutte ou la coopération entre les classes sociales) et l’inégalité des chances de réussite sociale. L’opposition entre libéralisme et socialisme au sujet de la question des inégalités et du rôle de l’État a structuré le débat politique dans les sociétés occidentales au cours des 19e et 20e siècles.
Les questions de philosophie politique au Bac, sont pour la plupart relatives au problème des rapports entre l’État et la justice et requierent de pouvoir rendre compte des principes du libéralisme politique (la valorisation de la liberté et de l’égalité en droits) et de la critique socialiste du libéralisme au nom de l’idéal d’une égalité réelle des conditions. Il existe cependant deux autres grandes problématiques possibles : celle du rapport entre les peuples et celle de l’écologie. La première conduit à poser la question de la guerre juste, par exemple, celle du cosmopolitisme (la question de l’unité politique de l’humanité) ou encore celle du relativisme culturel rendue actuelle par ce qu’on appelle parfois « le choc des civilisations ». La dernière grande problématique politique, apparue dans le monde occidental au 20e siècle, est celle de la critique écologique de la transformation de la condition humaine et du rapport de l’homme à la nature résultant du développement technique et industriel. Ce problème sera abordée dans le cadre du cours sur l’anthropologie, qui traitera non seulement de la définition de l’homme mais aussi de la place de l’homme dans la nature ainsi que du rapport de l’homme et de la nature.
Les questions
Peut-il être juste de désobéir aux lois de l’État ?
Peut-il y avoir une société sans État ?
La vengeance peut-elle être juste ?
L’État est-il l’ennemi de la liberté ?
Le peuple peut-il être injuste ?
La vérité est-elle l’affaire de l’État ?
La justice exige-t-elle la fin des inégalités ?
L’État doit-il prendre pour fin le bonheur ?
L’esclavage est-il contre nature ?
Le travail suffit-il à justifier le droit de propriété ?
La division du travail sépare-t-elle les hommes ?
Le capitalisme est-il moral ?
La justice n’est-elle que le masque de la force ?
Le langage peut-il être un instrument de domination ?
La diversité des cultures empêche-t-elle de s’accorder sur ce qui est juste ?
Un État mondial est-il souhaitable ?
La morale est-elle la meilleure des politiques ?
Y a-t-il un devoir de mémoire ?
Les repères
Légalité et légitimité. Les deux termes sont construits étymologiquement à partir de la racine latine leg- (lex, legis : ce qui est établi par la loi). Est légal ce qui est conforme à la loi, ce qui établi par la loi. La légalité renvoie donc au droit positif et désigne le juste et l’injuste selon le droit existant, le droit fabriqué par le législateur au sein de l’État. Est légitime ce qui est conforme à l’idée qu’on se fait de la justice, en conscience (la légitimité se confond alors avec la moralité) ou sur la base d’une théorie énonçant des principes politiques de justice (la légitimité est alors définie par une conception du droit naturel ou une théorie de la justice permettant d’évaluer le droit positif).
Obligation et contrainte. Ma liberté d’action est limitée quand j’agis sous la contrainte ou par obligation. La contrainte est une force extérieure exerçant une pression ou imposant une limite. L’obligation est la conscience d’une règle ou à d’une limite que l’on s’impose à soi-même ou que l’on consent à respecter. La contrainte et l’obligation peuvent exprimer le rapport d’une volonté libre à la loi : il y a contrainte si le respect de la loi est imposé par l’État, lequel a le droit d’user de la force publique pour exercer une pression sur les volontés et, éventuellement, contraindre les corps; il y a obligation (conscience du devoir) si le respect de la loi est commandé par la conscience morale ou civique (la conscience du citoyen de son devoir d’obéir aux lois). La contrainte est une force physique imposée de l’extérieur; l’obligation, une force morale (vertu) que l’on s’impose à soi-même. On « est contraint » mais on « s’oblige ». On peut cependant parler de contrainte morale à propos d’une pression ou d’une violence psychologique extérieure et subie. Cette distinction entre contrainte et obligation permet de concevoir celle entre servitude et obéissance. La servitude est l’acte de soumission à la force, la caractéristique d’une volonté qui obéit à la volonté d’un autre sous l’effet exclusif de la contrainte. L’obéissance consiste à soumettre sa volonté par obligation et caractérise une volonté qui consent à renoncer à sa liberté parce qu’elle juge légitime le pouvoir qui s’exerce sur elle. D’où l’idée formulée par Rousseau que dans l’État juste le citoyen obéit mais ne sert pas, parce qu’il ne soumet pas sa volonté à un maître en obéissant aux lois : « Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n’obéit qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. » (Lettres écrites de la montagne – VIII)